Alun Williams

Pour le plaisir des sélénites

10 juin - 22 juillet 2017


 

Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un peintre qui s’efforce de renverser les tables.
Mais tel est le cas curieux d’Alun Williams, peintre britannique, qui passe une grande partie de son temps à orchestrer des rencontres fortuites avec l’histoire dans les rues d’Europe et d’Amérique du Nord. Il s’inspire d’artistes comme l’iconoclaste Francis Picabia, qui, en 1920, déclara clairement qu’une tache d’encre type Rorschach était La Sainte Vierge.
Williams arpente les ruelles et artères de villes petites ou grandes, et déclare sans ciller, que les taches de peinture accidentelles, ici ou là, évoquent des personnages historiques importants.

Comme le dadaïste français, Williams mise sur le caractère irrationnel de la peinture illusionniste, afin de détourner le rôle de peintre d’histoire par un ultime rebondissement conceptuel. Son argumentaire maintient que, si quelques couleurs disposées de façon naturaliste sur un morceau de tissu peuvent représenter des figures historiques, alors certaines taches abstraites et évocatrices peuvent incarner divers personnages ayant animé tel ou tel endroit de la planète. Prise littéralement, cette méthode de libre association opérée par l’artiste a le pouvoir de transformer une banale course chez l’épicier du coin en rencontre avec des nobles du dix-septième siècle, des radicaux du dixhuitième et des hommes et des femmes ordinaires que l’Histoire avec un grand H souvent néglige.

En fait, c’est exactement comme cela que Williams en est venu à peindre des personnages aussi divers que le révolutionnaire américain, John Adams (qui vécut de multiples vies, et devint le deuxième président des Etats-Unis à l’âge de 62 ans), le rêveur et romancier Jules Verne ( l’artiste prétend que l’écrivain « voyagea dans le temps et l’espace » sans quitter son fauteuil), le poète et auteur de nouvelles, Edgar Allan Poe (une lettre controversée, attribuée à Alexandre Dumas, décrit le séjour que l’Américain est censé avoir fait à Paris), Julie Bêcheur (les historiens s’accordent seulement sur le fait qu’elle fut une marchande en vue, aux Halles, avant 1789), Hester Leisler, (la première fille de l’éphémère « Roi de New York », qui vécut longtemps, même après l’exécution pour haute trahison de son père par le nouveau roi Guillaume), et la légendaire marieuse, Marguerite Bourgeoys (elle établit la première « agence matrimoniale » au monde pour les « Filles du Roy » -quelques 800 jeunes françaises qui sur l’ordre du roi Louis XIV émigrèrent en Nouvelle France pour littéralement engendrer la population du Canada).*

Représentés, dans presque chaque cas, par des formes peintes que Williams place sur des fonds extrêmement documentés – comme c’est le cas dans ses portraits de chaque « Fille du Roy » grâce à des citations de l’histoire de l’art – ses personnages prennent de nouveaux aspects abstraits qui correspondent aux circonstances fragiles de leur redécouverte. Comme l’explique l’artiste dans un entretien, il renverse l’art du portrait historique (et de la représentation elle-même) en apparentant ses portraits, parmi d’autres idées artistiques délibérées, à une idée de camouflage. Plutôt que de rechercher des formes colorées qui deviennent invisibles -comme le suggère le mot camoufler- sa propre pratique consiste obstinément à rendre surtout l’invisible visible. Après avoir vu ses portraits historiques, on ne regardera plus jamais des taches accidentelles ou des graffitis de la même façon.

*Clin d’oeil à leur rôle historique peu connu, Williams a rebaptisé ces dernières « Le Mères de Montréal ».

Christian Viveros-Fauné, New York, 2017

Christian Viveros-Fauné est un écrivain et curateur new-yorkais. Il a reçu en 2010 le prix Creative Capital de la Fondation Warhol. En 2011, en tant que critique d’art, il a été en résidence au Bronx Museum. Il intervient dans différentes universités telles que Yale University, Pratt University et la Gerrit Rietveld Académie au Pays-Bas.
Il écrit régulièrement pour les revues The Village Voice et ArtReview.

 

 

 

vue de l’exposition Pour le plaisir des sélénites
photographie Alberto Ricci