David B.

Mon Frère et le Roi du Monde

7 janvier - 18 février 2017


La galerie anne barrault est heureuse de présenter une nouvelle exposition de David B. intitulée «Mon Frère et le Roi du Monde», un ensemble exceptionnel de 72 dessins. Ce projet fait suite aux deux dernières expositions personnelles de l’artiste au Centre d’art le Pavillon Blanc à Colomiers et au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne, ainsi qu’à la sortie d’un ouvrage publié à l’Association. Des dessins inédits et des oeuvres en volume de David B. seront également présentés.

Le livre et le visage
Il y avait dans la bibliothèque de mes parents un livre mince à la couverture blanche comme un désert portant simplement le titre, le nom de l’auteur, celui de la collection et de l’éditeur et une petit dessin au trait repris d’une illustration médiévale représentant Abraham devant Melkistedeq. Il s’intitulait «Le Roi du Monde» et avait été écrit par René Guénon en 1927.
Je me suis plongé dans sa lecture, une lecture aride, ardue, labyrinthique où la figure mythique du Roi du Monde se dérobait au fur et à mesure des chapitres plutôt que de se révéler. Ce livre m’a laissé sur ma faim, la faim d’une figure au pouvoir immense, un roi thaumaturge apaisant les douleurs du monde, un roi faisant reverdir les contrées désolées, un être qui m’aurait été caché jusque là et que ce livre m’aurait révélé. Mais à la lecture le livre posait plus d’énigmes qu’il ne révélait de mystère.
J’avais 12 ans, cela faisait sept ans que mon frère ainé était touché régulièrement par des crises d’épilepsie très violentes qui l’emportaient pendant de longues minutes.
Aucun médecin n’avait pu le guérir, la cause de sa maladie restait inconnue et ma confiance dans le monde des adultes, dans quelque autorité que ce soit s’est effondrée comme le faisait mon frère lors de ses crises.
Et ces crises nous servaient d’horloge, il en avait à cette époque trois par jour, j’étais toujours le premier à les voir arriver. Je ne disais rien, je scrutais la progression du mal, cela commençait toujours ainsi: la maladie l’arrêtait, elle le figeait pour prendre sa place, elle rampait sous la peau de son visage et le défigurait d’un coup dans un gémissement lent et continu. Nous nous précipitions pour prévenir sa chute et nous attendions autour de lui qu’il revienne de sa crise, retour qui lui prenait le plus souvent quelques minutes mais qui pouvait durer jusqu’à une heure.
Ainsi j’ai perdu mon grand frère, je l’ai vu sous le coup des crises, des blessures et des médicaments perdre son énergie. Il ne courait plus, ne grimpait plus dans les arbres avec moi, nous ne dessinions plus ensemble, lors des bagarres il avait toujours le dessous. Puis il avait une crise et il tombait et un grand frère qui tombe et que l’on doit ramasser ce n’est plus un ainé.
Je me suis vite rendu compte avec toute la malignité des enfants que j’étais capable en me moquant de lui de provoquer une crise et de le voir s’effondrer sur le sol selon ma volonté. C’est donc moi qui avait le pouvoir et je ne savais pas quoi en faire, il m’encombrait ce pouvoir, il me gênait car je ne l’avais pas voulu, il m’était tombé dessus alors que toutes mes illusions tombaient autour de moi.
La bibliothèque des parents allait du sol au plafond, je l’escaladais au sens propre du terme, je m’accrochais des pieds et des mains au rebord des étagères pour arriver au rayonnage du haut où se trouvaient les livres les plus pointus sur l’ésotérisme et le symbolisme. C’est là, accroché entre ciel et terre que j’ai déniché «Le Roi du Monde». C’était juste ce qu’il me fallait à ce moment là, j’étais certain de trouver là les réponses à des questions confuses qui me hantaient, le Roi du Monde c’est l’homme qu’il me fallait, celui de la situation. J’ai sauté du haut de la bibliothèque sur le sol comme je faisais toujours. C’était un rituel, un saut dans le vide qui marquait la fin de ma recherche bibliothequesque du moment et je retrouvais le plancher et mes problèmes.
Alors ce Roi du Monde? Il ne m’a pas déçu il m’a perdu.
Il ajouté du mystère où je cherchais de la lumière et ça n’a pas déplu au chat que j’étais et qui hantais le jardin la nuit.
Je lui avais tout de suite donné un visage, mon père avait lu la revue Planète dont il gardait les numéros dans un coin et dont les couvertures m’avaient fasciné. C’était à chaque fois un visage pris d’une statue antique ou extrême orientale, d’un masque africain ou mélanésien, d’un visage peint de façon rituelle et cette suite de figures déroulées au fil des numéros exerçaient sur moi une fascination intense, je ne cessais pas de les scruter pour essayer de comprendre quelque chose de la diversité et de la complexité du monde. Chacun de ces visages a été pour moi un des aspects du Roi du Monde.
Le livre avait lui même un visage, sa couverture.
Le titre en haut, comme un sourcil, le petit dessin comme un oeil unique, le logo de l’éditeur en guise de bouche, le mot Gallimard faisant un pli sur le menton et le Roi du Monde me regardait, cyclope blanc plein de promesses.
Dans le «Cheval Blême», le premier livre que j’ai publié à l’Association, se trouve un rêve intitulé «La Mort au Travail» où la mort change de tête à chaque case. J’avais été frappé de retrouver dans ce cauchemar quelque chose du défilé des visages des couvertures de la revue Planète. J’ai fait un second rêve, sorti du même tonneau inconscient que j’ai introduit à la fin de l’Ascension du Haut Mal lors de notre cavalcade où mon frère mort se métamorphose et prend les mille visages de la mort.
J’ai suivi au cours des années la façon dont sa maladie et ses conséquences ont marqué et transformé son corps et son visage. Les blessures dû aux chutes puis les cicatrices, les dents et les cheveux qui tombent, la prise de poids à cause du manque d’exercice, le casque bleue qu’il a porté un temps pour éviter les chocs, les plaies et les bosses, la moustache, les cheveux longs, le crâne rasé, les lunettes cassées et rafistolées, et puis après l’accident dû à une crise et qui l’a laissé à moitié paralysé à nouveau la maigreur après qu’il a refusé de s’alimenter.
L’idée m’est venue assez tôt de dessiner quelque chose qui évoquerait toutes les crises de mon frère une à une, de les dessiner chacune l’une après l’autre. Un travail pour un titan et je n’en suis pas un. Je me suis limité à 72, ce chiffre c’est le tribut que je paye à l’ésotérisme, c’est le chiffre qui comme tout ceux qui tourne autour de 70 symbolise la totalité, d’ailleurs dans les hadiths du Prophète Mohamed il est écrit que les maladies sont au nombre de 72 et qu’il faut absorber du sel avant et après le repas pour les prévenir. Et d’ailleurs lorsque au début de la maladie de mon frère nous subissions des électroencephalogrammes l’infirmier nous mettait du sel dans les cheveux car cela renforçait la qualité de l’examen. Et ainsi de suite.
Ces portraits sont un travail de coq à l’âne.
C’est l’image de la perte de la puissance face à la toute puissance.
Dans ce livre les portraits sont placés en vis à vis, un de mon frère face à un du Roi du Monde.
Dans l’exposition au Pavillon Blanc de Colomiers les 36 portraits de mon frère sont placés ensemble sur un panneau, en vis à vis un autre panneau expose ceux du Roi du Monde.
Au musée de l’Abbaye de Sainte Croix des Sables d’Olonne ils seront toujours en vis à vis mais chaque série de 36 est sur une seule file.
À la galerie Anne Barrault la disposition sera encore différente.
Et ailleurs cet ensemble prendra encore une autre forme.
Et il me plait que cette exposition de métamorphoses se métamorphose à chaque fois elle aussi.
Je parle avec ma mère en regardant des photos de mon frère maintenant, dans son fauteuil roulant avec la perfusion qui l’alimente et elle me dit qu’il est devenu le Roi du Monde.
Peut être.

David B.
6 novembre 2015

 

vue de l'exposition Mon Frère et le Roi du Monde
vue de l’exposition Mon Frère et le Roi du Monde
© Alberto Ricci

 

vue de l'exposition Mon Frère et le Roi du Monde
vue de l’exposition Mon Frère et le Roi du Monde
© Alberto Ricci