Depuis 2006, Olivier Menanteau élabore des projets llemppelés «Mediagenic», qui posent un regard sur des transactions de la vie politique. L’artiste capture les images de ceux qui nous gouvernent. Pour ce faire, il s’immisce dans le coeur battant de l’exercice du pouvoir en se mêlant à la foule des journalistes qui retransmettent quotidiennement le vaste spectacle politique et diplomatique. Olivier Menanteau s’attarde avec minutie sur le langage corporel des acteurs de la vie publique. Il leur applique, selon ses termes, des « méthodes liées à l’observation participante ». Il s’implique ainsi corps et âme dans l’analyse des mouvements et des gestuelles des sujets observés. Ces oeuvres fournissent une réflexion sur la complexité du corps, envisagé comme un espace dual, celui du langage, mais aussi celui de la culture.
En 2015, Olivier Menanteau est le correspondant berlinois de l’agence JBVnews. Pendant 6 mois, il vécut au rythme de la vie politique allemande en s’attachant tout particulièrement à rendre compte des moments de rencontre entre Angela Merkel et François Hollande, entre la scène politique allemande et celle française.
Entretien entre Olivier Menanteau et Florent Tosin, décembre 2015
Florent Tosin : Ton travail est très prolifique, quel but poursuis-tu avec cette profusion d’image?
Olivier Menanteau : Prolifique voire infinie, car comment rendre-compte et faire image, autrement, des relations sociales.
Ce qui m’intéresse c’est ce qu’un individu développe dans le monde social, ce qu’il intègre de la société en lui-même, en son corps. C’est ce qu’Aristote appelle l’Hexis corporelle et Bourdieu, l’Habitus. Il s’agit de ce qui va être partagé avec l’entourage par des relations d’autorité, de subordination ou de réversibilité. Face à cette infinitude de possibilités, j’ai posé les fondements d’un protocole qui me permet de saisir ces relations en images.
Chaque image obéit à ce même protocole, et contient donc, en un sens, toutes les images. Le protocole en question procède selon trois niveaux. Tout d’abord, il mobilise le choix d’un terrain et d’une véritable « immersion », installée dansun temps long. Il se base sur l’emploi d’une caméra grand format de type chambre photographique pour réaliser les prises de vues, car elle renvoie à un espace projectif permettant à l’observateur et à l’observé d’avoir un rapport en dehors du simple fait d’être là. Ce rapport crée une relation imaginaire et culturelle autour de cette « boîte noire » dans laquelle il se passe quelque chose et où chacun peut se penser être à un moment donné. Le troisième point c’est la construction,via la circulation et l’exposition des images, d’une relation avec l’intéressé, le groupe, le monde extérieur. Cela va de la contemplation de sa propre image reproduite, ou en circulation sur internet, à la construction d’un autre lieu du social pour le spectateur extérieur : l’exposition.
F.T : Et plus simplement, qu’est-ce qu’il nous est montré ?
O.M : Plus simplement, disons alors que chaque image est une fiction des rapports que j’entretiens avec le monde. Le but n’est pas de montrer la réalité, mais plutôt comment l’observateur, avec son idéologie, son histoire, et ses a prioris va rencontrer un espace-temps qui n’est pas le sien, mais qui est dans le-les corps des autres. Cette rencontre est le but de la photographie.
F.T : Donc il n’y pas de photographie sans « photographe »…
O.M : Bien sûr, c’est comme aller danser avec des « sauvages » pour rentrer en relation avec eux, il faut trouver un langage commun afin de faire une image. La photographie est l’objectivation de cette rencontre.
F.T : Comment concevoir un tel travail face a un pouvoir politique rompu à la représentation de soi ?
O.M : Tout simplement, sans renoncer à ma méthode de travail, et en posant un dispositif m’intégrant dans le spectacle de la politique. C’est le cas pour le travail sur le monde politique français avec le journal La Marseillaise* et pour le travail à Berlin avec l’agence JBVnews**. Dans ces deux projets, j’ai pu intégrer le monde politique grâce à leurs accréditations, mais aussi en me faisant, (ou tentant de me faire) considérer par les acteurs de ce spectacle, comme parti prenant de celui-ci, comme un confrère.
F.T : Pourquoi le choix du noir et blanc pour documenter le monde politique français et de la couleur pour l’Allemagne
O. M : Tout d’abord, le choix du N/B pour la France, est lié à la nécessité de développer les négatifs, et d’envoyer des images à la rédaction de La Marseillaise avant le bouclage du journal chaque soir. Je réalisai donc tout moi-même, à la maison.
Mais je me suis aussi rendu compte, que les ors et le pourpre des Palais de la République sont si prégnants qu’ils occultent, sur les images, la place des corps des « acteurs ». Aujourd’hui, le monde politique français vit et pense dans un décor si riche et si encombré visuellement par l’Histoire que l’on appelle encore l’Assemblée Nationale : le Palais Bourbon !
F.T : Quand on voit tes photographies on a l’impression de sentir et de toucher ces grands fauves politiques, mais tu n’arrives pas à exprimer verbalement les choses aussi simplement que le font le rendu de tes images…
O.M : Oui, et d’ailleurs c’est pour cela que je fais de la photographie… J’ai beaucoup de mal à « critiquer » les personnes que je photographie. C’est toujours le constat de la réversibilité des positions, auquel m’entraine le travail de terrain, qui me renvoie dans l’espace du photographié.
F.T : Le choix du N/B et de la couleur pour l’Allemagne ne nous renvoie-t-il pas à une discussion sur ce passage au XXIe siècle que l’Allemagne semble avoir réalisé, et pas la France? Et, d’ailleurs, tu te réfères à Erich Salomon pour ce travail et tu utilises le N/B uniquement pour documenter le monde politique français ?
O.M : Je pense que ce que Salomon a voulu montrer et ce qui me touche dans ses photographies, c’est qu’elles montrent un passage : la fin d’une époque avec l’impuissance de la Société des Nations, et les tractations qui n’aboutiront qu’à l’arrivée du National Socialisme. En Allemagne, il y a eu la reconstruction, l’autocritique, la république de Bonn et, aujourd’hui, cette nouvelle capitale du pouvoir à Berlin. La référence à Salomon n’est pas présente plastiquement, les lieux sont devenus « modernes » et même post-modernes, comme l’illustre le Bundestag. J’ai constaté que la classe politique, elle aussi, représentait la société civile. Ce n’est pas le cas en France, et la fin de la République de Weimar nous rappelle plutôt ce qui est en train d’arriver ici, avec la montée d’une extrême-droite, dans une Vème République à bout de souffle.
F.T : Quel est ton rapport au réel spectacularisé alimenté par les médias en général ?
O.M : En fait, il n’y a pas de différence entre un hôpital psychiatrique, une usine d’automobiles et la vie au Sénat. C’est le sens de mon t
ravail, il y a des relations qui se nouent, elles sont parfois plus compliquées, mais il y des règles de vie partout !
Il n’y a pas de in, pas de off, pas de coulisses du pouvoir, mais, partout il y a un pouvoir à l’oeuvre…
F.T : Oui, mais il y a en face des reporters qui cherche le moment historique…
O.M : Oui, bien-sûr, les hommes politiques sont aujourd’hui sous le regard permanent de reporters en quête de l’anecdote qui va faire vendre. Là est la différence. Le réel spectacularisé, c’est simplement la rencontre entre une vue obtenue dans le viseur téléobjectif d’un médium numérique et un rapport marchand. C’est ce qui donne cette spectacularité. Changer de médium annihile cet échange, il déplace le point de vue, non seulement de l’opérateur, mais aussi du spectateur.
F.T : Olivier après les deux expositions que nous avons organisées ensemble à Berlin : l’une, relative aux Nations Unies et au gouvernement lituanien abordait les effets de la mondialisation et de l’Histoire ; et la seconde, sur la mort de Norodom Sihanouk, traitait quant à elle le post-colonialisme. Avec le projet Franco-Allemand, peut-on dire que tu reviens à un sujet qui aborde les notions de territoire ?
O.M : Après 10 ans en Allemagne, revenir en France c’est retrouver un rapport précis voire immédiat, à la langue, à ses sous-entendus culturels, et bien sûr à son territoire. Photographier le monde politique allemand, c’est être dans une culture partagée –de part mon histoire familiale- mais surtout c’est être dans une culture d’images, de souvenirs, de films, de photographies, liées, donc, au territoire.
Je pars alors, dans ces deux cas, avec plus de « préjugés » qu’au Brésil ou en Lituanie.
Concernant la France et l’Allemagne, je voulais aussi m’inclure et partager de manière plus forte les relations avec les autres et apprendre, ou plutôt imiter, la langue de référence visuelle qui le traverse, à savoir la langue du reporter. C’est ma connaissance du terrain (du territoire ?) qui m’a permis d’organiser ce rapport avec un journal et une agence.
* Cf. Mediagenic – La Marseillaise, une commande publique du CNAP – Centre national des arts Plastiques
** Ce projet a été sélectionné par la commission mécénat de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui lui a apporté son soutien. Il a été réalisé avec l’aide de la DRAC Île-de-France, le Ministère de la culture et de la communication et avec le concours de Jean-Bernard Vernier, de l’agence JBV news et du Centre photographique d’Île-de-France.