Ramuntcho Matta

l’Usage du Temps

10 avril - 17 mai 2014


Ecoutez L’atelier du son, France Culture, le 4 avril 2014

Ramuntcho Matta Brion Gysin

 

Entre vestiges du passé et vertiges du futur, Ramuntcho Matta propose à la galerie
anne barrault une expérience du présent. L’Usage du Temps, c’est l’histoire personnelle de l’artiste qui se tisse avec son travail artistique et provoque une bousculade de croisements et de temporalités mélangées.
Chris Marker avait trouvé le terme de « multimédium » pour définir le travail de Ramuntcho Matta.
Pourtant, une chose le perturbe, le fascine et le passionne : le temps et son usage.
Musique, dessins, sculptures, textes… les moyens sont divers, tous autant artistiques les uns que les autres. Mais le fil rouge reste le même : « un certain ou un incertain usage du temps ».
Mais comment donner à voir une oeuvre aussi multiple? Au départ, il s’agit du désir de faire un livre ou plus précisément d’une monographie. Un livre pour expliquer une démarche, pour montrer la cohérence d’un travail. Ce travail est avant tout une jubilation de l’expérience. L’exposition est donc conçue comme une mise en abyme de la monographie. Le poète Alain Bosquet disait « je passe tout mon temps à comprendre le temps ».

A l’occasion de son exposition, Ramuntcho Matta présentera sa monographie L’usage du temps, publiée chez Manuella Éditions, et son dernier album Météorismes, édité par SometimeStudio.

 

Ramuntcho Matta la nécessité indéniable
Ramuntcho Matta
la nécessité indéniable, 2014
aquarelle et encre
29 x 21 cm

 

Comme c’est ennuyeux tout de même de se réveiller tous les matins avec les yeux en face des trous et la bouche à la place de la bouche. Comme c’est ennuyeux que la meilleure façon de marcher soit encore la nôtre : mettre un pied devant l’autre et puis recommencer. Il faudrait mettre un pied derrière l’autre, un pied à la place de la main, un troisième pied et un troisième bras. On trouve ce monde chaotique, mais je ne sais pas ce qu’il vous faut : de l’ordre, il n’y a que ça par ici. De l’ordre partout. Des choses à la place des choses. Si les dieux étaient Temps, alors ils déferaient l’ordre des choses de façon beaucoup plus fréquente, beaucoup plus sonnante, beaucoup plus tapante. Il va falloir leur apprendre.
D’abord, il va falloir leur apprendre à éviter. Inamovibles dans l’Eternité, les dieux ne peuvent éviter qu’un bras soit un bras ou un arbre un arbre ; mais nous, mobiles dans le Temps, nous pouvons éviter qu’un dessin soit un dessin, une chanson une chanson ou un film un film. Eviter qu’une monographie soit une monographie surtout : parce qu’on sait quand même que la vie ne se résume pas au recueil des actions de notre main dans le Temps. C’est Lennon qui disait que la vie était ce qui arrivait lorsqu’on était occupé à faire autre chose. C’est parce que nous sommes toujours, à la fois, pas assez concentrés (ou alors il ne se passerait rien d’autre que cette autre chose, la vie se confondrait avec ce qui nous occupe) et pas assez libres (ou alors nous ne nous occuperions que de la vie, nous serions occupés à vivre). Une mauvaise monographie confond la vie et cette autre chose qui nous occupait tellement, tandis qu’une bonne monographie les transmute : noces chymiques. En somme, une bonne monographie, c’est le résultat de tout ce qui s’est passé pendant qu’on était occupé à faire une monographie. Il va falloir leur apprendre, aux dieux, à cesser de nous faire mal inutilement ; il va falloir leur expliquer que ça ne sert à rien puisqu’on finit toujours par faire du mal un bien. Une bonne monographie, c’est du Temps. Tu m’as donné de la peine et j’en ai fait de l’or.
Enfin il faut éviter qu’une exposition soit une exposition. « Entre moi et Toi il y a un « Je Suis » qui me tourmente, disait al-Hallâj en parlant à Allah. « Oh, ôte par Ton « Je Suis » mon « Je Suis » hors d’entre nous deux. » Entre l’artiste exposé et le spectateur de l’exposition, c’est pareil. Il y a un caractère « exposé » de l’exposition contraire à la fois à la vie et à l’autre chose que chacun était occupé à faire pendant qu’elle arrivait. Il faut que l’artiste ôte de son exposition par son art de vivre la vie purement exposée de son art. Cette manière de conjurer le caractère mortifère de l’œuvre exposée, cette façon de donner la vie à la fois au spectateur et à lui-même, à la suite de Ramuntcho Matta, nous la désignerons par l’opération mathématique 1+1=3. Entre lui et vous, il y a un troisième être qui est en train de naître et qui décidera de la suite des événements. Et si vous avez compris, alors allez-leur parler. Apprenez-leur parce que nous sommesfatigués. Mettez-les de chaque côté de la gondolfière. Faites-les chercher le bout qui manque. Apprenez aux dieux à désapprendre ; apprenez-leur Ramuntcho Matta.

Pacôme Thiellement

Ramuntcho Matta tache or no to tache ?
Ramuntcho Matta
tache or no to tache ? 2014
aquarelle et encre
29 x 21 cm