La galerie anne barrault est très heureuse d’accueillir la première exposition personnelle de Vimala Pons.
Artiste multi-médias et trans-disciplinaire, Vimala Pons a pour formation le sport en compétition, l’histoire de l’art, le cinéma, et la musique.
Connue pour ses spectacles performatifs mais aussi pour son parcours ciselé en tant qu’actrice au cinéma, tout son travail d’artiste repose sur la macro-introspection émotionnelle et la manifestation du déséquilibre sous toutes ses formes.
I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU est un ensemble de 40 vidéos de moins de 2 minutes chacune. Ce sont de courtes séquences tournées d’un point de vue subjectif. Ces images, récupérées sur une banque d’image en ligne, font dialoguer boucle mentale et boucle visuelle, mantra, auto-persuasion, et obsession.
Pour sa première exposition, Vimala Pons a travaillé en étroite collaboration avec Danse Musique Rhône-Alpes pour la composition musique originale, le mix et le montage image.
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On avait quitté l’artiste sur scène, dans une performance saisissante : portant en équilibre une voiture sur sa tête, le visage dissimulé derrière un masque hyperréaliste d’Angela Merkel, Vimala Pons se livrait à une mise à nue intégrale – ralentie par une très grande superpositions de vêtements – tout en livrant dans un long monologue, le souvenir d’un chagrin d’amour de l’ex-chancelière.
Abondamment saluée, partagée et commentée, cette scène sidérante était restée comme un des souvenirs les plus marquants de l’année théâtrale.
Mais passé la sidération, ce n’était pas la performance technique et acrobatique qui restait en mémoire, pas plus que le talent inattendu d’imitatrice de l’artiste ni son humour absurde qui emportait la salle dans un éclat de rire.
Ce qui résistait et qui dépassait de très loin la portée spectaculaire de l’évènement, c’était le gouffre existentiel qui s’ouvrait alors devant nous : cette chimère insaisissable et grotesque qui occupait la scène en se mettant à nu dans une urgence chaotique et instable nous partageait une solitude profonde, métaphysique : celle de l’apprentissage du désir, du regard de l’autre, et l’absence de réponse à ce désir. L’exhibition du corps et du savoir-faire de l’artiste camouflait en réalité une plongée intime dans l’expression d’une désolation intérieure.
Le chemin dramaturgique parcouru et le dispositif scénique déployé pour conduire à cette émotion-là reste comme une des trajectoires les plus inattendues et singulières qu’il nous ait été donné de voir sur scène. Cette mise à nu, par sa radicalité et singularité en prolongeait d’autres, toutes aussi mystérieuses et insaisissables, qui ont jalonné l’histoire de l’art : de Pina Bausch à Marina Abramovic en passant par Francisco Goya et Marcel Duchamp.
C’est aujourd’hui à travers un autre langage que celui de la performance scénique que se poursuit le déploiement de l’imaginaire de l’artiste : Vimala Pons investit la Galerie Anne Barrault avec une série de très courtes vidéos, accrochées comme autant de tableaux aux murs de l’espace d’exposition. Chacun des plans de ces vidéos est issu de catalogues de banques d’images, dont le contenu est produit de manière quasiment industrielle et consiste en des images très colorées, mouvantes, tournées en courte focale et réalisées initialement à des fins d’utilisations commerciales – principalement publicitaires.
Cette imagerie de stéréotypes répétitifs (sur le couple hétérosexuel, le monde de l’entreprise ou la cellule familiale…) est réalisée initialement de manière à provoquer un désir d’achat ou de consommation, en intégrant des montages promotionnels pour une marchandise ou une idéologie.
En revisitant par le biais du texte, de la musique et du montage cette imagerie d’un bonheur consumériste d’une classe moyenne californienne, l’artiste en offre une lecture grinçante et hallucinée. Elle vient à sa manière hanter l’artificialité des situations, pour y réinjecter tout ce que le dispositif de production en a évacué : de l’irrationnel, du désir, du doute, de la névrose et du trauma.
La vacuité des mises en scènes promotionnelles devient ici le fond de scène d’une humanité fragile, désirante et délirante, où le récit de la narratrice fait se heurter dans un maëlstrom de voix intérieures, le consumérisme, la cruauté, le divertissement de masse, la joie, le narcissisme et la pulsion de mort. Entre cinéma lettriste 2.0 et théâtre de l‘absurde Vimala Pons délaisse un instant la performance pour se faire vidéaste et entrer dans les images comme elle entre dans ses personnages : par effraction.
Clément Cogitore
« I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU »
C’est la plus belle déclaration d’amour qu’on puisse faire à quelqu’un ou quelque chose. C’est une promesse qu’il faut faire, mais qui ne pourra pas se réaliser. Et c’est là sa beauté. Ce ne sont pas les actions qui sauvent, ce sont les promesses. L’amour, c’est faire grandir en soi même quelque chose qui protège l’autre personne de soi même. Essayer de sauver quelqu’un de lui même, est une belle promesse.
Récupérer des images existantes ou travailler avec des objets faisant partie de notre quotidien a toujours été ma démarche. Regarder un objet et écrire pour lui, scruter ses particularités, observer jusqu’à l’épuisement ce qui le définit intrinsèquement et qu’on ne remarque pas à première vue.
À travers ce travail vidéo, j’ai eu le désir de continuer cette recherche et de la transformer ; de guetter les signes du décalage entre ce qu’on voit, ce qui est donné à voir, et ce qu’on en pense.
Le principe de la post-synchronisation a toujours été une manière d’écrire pour moi. Elle permet une torsion du réel par un procédé technique artificiel mais qui nous arrive organiquement sans cesse : rendre synchrone une pensée et une image qui généralement ne vont pas ensemble. C’est un état d’observation magnétique, entre la contemplation et l’enquête. Tout le travail réside dans le fait de trouver la justesse du rapprochement de deux choses empruntées qui s’entrechoquent. Comme en amour.
La post-synchronisation a aussi été la technique que j’ai utilisé comme travail préparatoire pour mon dernier spectacle, créé en janvier 2022 : « Le Périmètre de Denver”. « I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU » est aussi une manière de donner la parole à un acte physique en épousant, par le principe du doublage, la rythmique des gestes générés par son action et la narration qu’elle induit. De l’illustration la plus pure à la dégradation de la cohérence, le récit que compose ces 40 vidéos empruntera des chemins très divers. La rupture de ton permettant de multiplier l’écho qu’une vidéo offre à l’autre.
Pour cette première exposition, ma recherche s’est donc portée sur des images « clichées » récupérées sur iStock. J’ai scruté le hors-champ qu’elles proposent, l’action de deuxième plan, ou l’image inversée qu’elles induisent : c’est à dire scruter leur autre histoire, leur faille. Je voulais partir de cette faille pour composer ces voix intérieures et leur musique.
La musique a été composée par DMRA. DMRA est un artiste transversal. Son travail fonctionne en emprunts subtils à certaines formes de la musique mainstream, ces compositions jouent avec la texture comme narration, il construit une image sonore qu’il n’a de cesse de renverser.
Dans la composition de ce projet, DMRA a créé une musique supportant délicatement l’état de contemplation qu’induit la répétition visuelle et le ralenti. La musique ne pouvant être séparée de l’écriture, DMRA a façonné le montage-image et les orientations d’écritures de ces 40 vidéos.
Il s’agit d’une vraie collaboration.
« I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU » est la somme d’histoires inventées par le biais du geste, de la tâche, ou de l’activité sportive.
Est ce que nous sommes défini.e.s par nos actions ? Est-ce que ce sont nos actions qui nous définissent?
J’ai essayé de comprendre comment le corps et la pensée peuvent par moments vivre des vies complètement séparées. Pendant l’écriture, j’ai cherché à atteindre un état d’hypnose légère créée par ces boucles. Le fait de les regarder et de les re-regarder change notre interprétation. Les images mentales exercent sur nous un magnétisme, tour à tour créateur ou destructeur du sens alloué à notre vie. J’ai décidé d’exposer ce qui est mon moteur pour écrire: les objets et les actions.
Je me suis attachée à réinterpréter les forces significatives contenues dans des situations physiques du quotidien, et leur faire parler une autre langue.
Pourquoi se tourner vers la vidéo ?
Le déclencheur a été la découverte de « The Evil Eye » de Clément Cogitore et de « Monodramas » de Douglas Gordon. J’ai été très marquée par ces deux œuvres très différentes. En les voyant, j’ai pensé à la phrase de l’astronaute David Wolf de retour de son voyage de 120 jours sur la station Mir: « Vos sensibilités sont tellement augmentées car elles ont été absentes pendant tant de mois. » Ces deux films ont eu un énorme impact sur moi.
Les œuvres de deux autres artistes vidéastes m’ont porté à travers ce projet: celles d’Alex da Corte et de Rachel Rose.
« La vidéo était un endroit où je pouvais être plus consciente, sensible à ce que j’avais expérimenté. » Rachel Rose
« Vidéo can live in places where object can’t. The burden of object can be to much . » Alex Da Corte
La vidéo m’apparaît comme un moyen de comprendre qui on est, c’est un outils introspectif, il permet de se prendre en tant que cobaye pour le reste de l’humanité. La vidéo d’art n’est pas un moyen d’exprimer ce qu’on est soi, c’est un moyen de partir à la recherche de ce qu’on est toustes. C’est une mise en commun, ce n’est pas un moyen d’être original.
L’art de l’acteur est mon art. L’art de l’équilibre est mon art. C’est l’interprétation. Dans un cas l’interprétation des mots, dans l’autre l’interprétation de la gravité. L’interprétation est notre pouvoir le plus puissant. Interpréter le réel est un art, le seul. C’est ce qui nous pousse à écrire nos vies d’une façon ou d’une autre. Et réinterpréter, c’est toujours ce qu’il faut faire. La réinterprétation c’est la métamorphose.
VIMALA PONS, mars 2024
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Le Choc Vimala Pons
Pas de grand art sans une énorme prise de risque. Ce que la plupart des artistes risquent symboliquement en composant leurs œuvres (mais cet acte symbolique est réel d’un point de vue psychique), Vimala Pons le risque doublement, puisqu’elle le risque concrètement sur scène (mais cet acte concret est totalement irréel d’un point de vue psychique). C’est peut-être dû aux métaphysiques indiennes qui se sont penchés comme d’étranges fées sur son berceau. Le fait de savoir que tout ce qui est vécu est également maya, illusion, a peut-être donné à Vimala Pons ce détachement qui lui permet de faire à peu près tout ce qu’elle veut avec son corps, sans crainte ni tremblement. A la différence du titre du roman de Chloé Delaume, c’est une femme avec quelqu’un dedans. Sauf que ce quelqu’un, c’est quelqu’un d’autre. Vimala Pons est une personne à l’intérieur de sa propre personne. C’est une personne dont la personne est une machine à qui elle peut tout faire faire, un peu comme si elle conduisait un véhicule.
Ensuite, le choc, ça a été Le périmètre de Denver, en 2021. De Vimala Pons seule, mais qui passe par tellement de transformations physiques qu’on a l’impression de voir jouer toute une troupe : le Vimala Pons Septet.
Changements de personnages par effeuillage, changements d’accents, monologues ininterrompus : la concentration nécessaire pour produire à la fois ces prouesses d’équilibre et ces virtuosités de jeu transforme le véhicule dont Vimala Pons a pris le contrôle en une espèce de bolide supersonique en pilotage automatique. Vimala Pons, c’est le guerrier Arjuna avec Krishna comme cocher qui le mène dans la grande guerre sacrée contre les formes – contre les conditionnements et les déterminations.
Quant à l’histoire, c’est un murder mystery mais également une lecture transversale, dense et complexe, de la psychologie contemporaine dans son rapport au mensonge. Encore la puissance comique et poétique de la littéralité : le titre renvoie à l’espace qu’on ouvre par les petits mensonges, et qui créé un « premier avatar de soi-même » qui commence à vivre à côté de nous. Mais du coup, le spectacle explore toutes les possibilités de cet espace. Le récit se déroule à Brighton, en 2008, dans un hôtel de thalassothérapie. Une personne est tuée. La victime est un « intervenant numérique », c’est-à-dire un troll. C’est une personne, donc, qui a fait commerce de sa fausse identité et de sa fabrique de mensonges, au point qu’on pourrait dire qu’il n’existait déjà plus comme individualité avant son assassinat. C’est un mort qui était déjà mort, mais pas dans le sens de moksha, la délivrance indouiste ou bouddhiste. Le troll n’a plus de personnalité, certes, mais il n’a pas dépassé son ego pour atteindre la réalité infinie, omniprésente, omnipotente, incorporelle, transcendante et immanente. C’est même l’inverse. Le troll n’a plus de personnalité dans le sens où rien d’autre que l’ego ne peut plus exister en lui. Aucune réalité infinie, aucune transcendance ou immanence. Rien. Si, dans la métaphysique indienne, le Soi se distingue du Moi comme Krishna se distingue d’Arjuna, ou la conscience se distingue du mental, dans l’espace cybernétique, nous n’avons plus affaire qu’à des Moi sans possibilités d’accès au Soi. Ce sont des êtres délivrés par rien, abandonnés aux plus ténébreuses des passions. Le Kali Yuga existe déjà, mais parallèlement à nous, dans les ordinateurs. Ceux qui vivent à l’intérieur des ordinateurs, passant leur temps dans les réseaux sociaux, écrivant et répondant aux commentaires et se battant à coups de rumeurs, de médisances et de moqueries, vivent vraiment le dernier âge du monde.
Est-ce encore l’Inde qui a permis à Vimala Pons de si bien comprendre ce que la notion d’avatar employé dans le vocabulaire cybernétique (la transposition d’un individu dans une identité numérique) a de différent, voire même d’antagoniste, à celui, initial, de la métaphysique indienne (la descente de la divinité dans une forme corporelle) ?
Et ce que cette non-identité de l’être cybernétique a d’opposé à l’accès, par la négation des formes ou la conscience de leurs limitations, à une conscience impersonnelle donnant accès à une plénitude infinie ? Dans son absence de vie physique, dans l’immobilité de son corps réduit à une main tapant sur un clavier, tenant une souris ou se déplaçant sur un trackpad, le troll croit à sa toute-puissance, alors que celui-ci n’existe plus que de façon négative, en privant les autres de leur puissance. A l’opposé, l’extrême difficulté des exercices d’équilibre de Vimala Pons, passant de corps en corps et d’identité en identité, lui permet d’accéder à un véritable dépassement des formes. Son goût du risque la hisse à l’extraordinaire humilité de l’artiste qui se livre chaque soir devant son public au jeu avec sa propre mort. De là, le caractère indispensable de son art. Plus les humains se perdront dans les labyrinthes ténébreux de leur psyché, plus nous aurons besoin d’artistes qui feront exploser ce labyrinthe en nous démontrant que l’illusion existe encore plus et mieux à même la vie.
Plus le monde médiatique et internautique dévorera l’âme de l’humanité, plus celle-ci aura besoin de spectacles vivants pour se rappeler que la vie n’existe que dans l’expérience réelle du risque, et la confrontation physique avec l’impossible.
Pacôme Thiellement
extraits du texte Le Choc Vimala, 2023
Avec le soutien aux galeries du Centre national des arts plastiques, et de la Villa Belleville et de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie I La Brèche à Cherbourg pour les résidences
Production : galerie anne barrault & TOUT ÇA / QUE ÇA.
Équipe : Vimala Pons (écriture, réalisation et voix off), Danse Musique Rhône-Alpes (composition musique originale, mix et montage), Arnaud Pierrel (post-production vidéo), Adeline Ferrante (coordination artistique et production), Mathieu Hilléreau (administration, production)
Nos sincères remerciements à Vimala Pons, Adeline Ferrante – TOUT ÇA / QUE ÇA, Mathieu Hilléreau – Les Indépendances, Loup Gangloff, Clément Cogitore, Pacôme Thiellement, Chloé Siganos, le CENTQUATRE-Paris.