Dominique Figarella

On n'y voit rien !

9 mars - 20 avril 2024


La sixième exposition de Dominique Figarella à la galerie Anne Barrault s’appelle « On n’y voit rien ». Le titre claque et c’est nous, oui nous, qu’on interpelle. Cela serait comme une sorte d’avertissement au·à la regardeur·euse : que nul·le n’entre ici s’il·elle n’est prêt·e à se perdre, corps et âme, dans les tréfonds de toiles monumentales. Car il va bel et bien falloir s’immerger dans chacune d’entre elles. S’approcher, s’écarter, recommencer. Plus vite, moins loin, de biais, de travers. En un mot : entrer à notre tour dans la danse. Et ce, pour remettre en jeu nos sens dans l’acte de perception, tous nos sens sans exclusion, et pas uniquement les plus nobles — rétine et neurones. Un pur plaisir de peinture va pouvoir se faire jour, perçant la chape de plomb de nos prothèses médiatiques : la « génération Petite Poucette » lentement s’éveille[1].

Depuis trois décennies de carrière, Dominique Figarella a choisi son camp : la présentation prend le pas sur la représentation, et la portée anthropologique de la peinture l’emporte sur l’histoire érudite du médium. L’artiste lui-même, stoïcien dans l’âme, est incrédule à défaut d’y avoir mis le doigt[2]. Ne résumera-t-il pas ainsi sa quête inépuisable : « L’art nous sert à essayer de voir ensemble ce qui est devant nous ». Alors, voilà cinq peintures. Les couleurs sont franches : parme, magenta, rouge franc, bleu nuit et un petit peu de de vert, un brin à peine. Et les formes, elles, sont enlevées, refusant de choisir entre l’échelle moléculaire et les confins planétaires. Plus précisément, sont des esquisses de possibles, qu’une chorégraphie ordinaire a fait naître.

Le processus de Dominique Figarella part toujours du geste : il commence à l’aveugle, faisant fonctionner ses bras et ses jambes dans toutes les configurations possibles. Les traces laissées sur la toile, il va ensuite les retravailler. Ces grands jets éruptifs, réalisés en une fraction de seconde, l’artiste les réécrit des mois durant, par de petites formes géométriques au crayon de couleur. En vue, dira-t-il, de « littéraliser les mouvements », manière de se libérer de l’expression solipsiste. À vrai dire, tout·e humain·e qui s’attarde dans l’exposition est déjà devenu le·la participant·e d’une enquête : déjà, nous cherchons à décoder ensemble, nous rêvons de concert. En repartant, nous en retirerons peut-être aussi une nouvelle idée de la peinture comme « culture participative »[3].

Ingrid Luquet-Gad

 

[1] Michel Serres, Petite Poucette, 2012.

[2] Le carton d’invitation de cette exposition se réfère au motif de l’iconographie chrétienne de saint Thomas, celui qui veut toucher pour croire. Ici, il s’agit plus précisément d’un détail de la toile de Mattia Pretti, L’Incrédulité de saint Thomas, 1675.

[3] Le terme pointe une expression artistique étendue à ses usager·ères, fondant une culture d’interconnexion sociale. Son usage a été popularisé par plusieurs études du théoricien des médias Henry Jenkins à la fin des années 2000.

*Le titre de l’exposition est également une référence au fameux livre On n’y voit rien de Daniel Arasse.

 

 

Dominique Figarella
A perte de vue, 2024
acrylique et crayon de couleur sur aluminium
150 x 200 x 4 cm

 

Dominique Figarella
Dream traces, 2024
acrylique, crayon de couleur sur alucore
150 x 200 x 4 cm


Dominique Figarella
L’Endroit sur terre que je ne verrai jamais, 2024
acrylique et crayon sur papier
65 x 50 cm – 94 x 79,5 x 3,5 cm (avec cadre)

 

Dominique Figarella
Animal abstrait, 2024
acrylique sur alucore
220 x 150 x 4  cm