Gabriele Basilico

Interrupted City

30 mai - 18 juillet 2001


Gabriele Basilico occupe une place singulière dans l’histoire des relations photographie/architecture.

A travers Interrupted City, série réalisée à Milan en 1997, il observe la ville comme un corps vivant, en dévoilant son anatomie. Son analyse dépasse la simple reproduction formelle d’un “paysage urbain” pour révéler la topographie de sa structure sociale et économique.

L’idée était d’esquisser un portrait de la ville et d’en donner une image correspondant réellement à son aspect physique. Il est très difficile, bien qu’il y ait toujours cette tentation, de dépeindre une ville aussi grande que Milan dans toute sa complexité. On court le risque de réaliser une oeuvre qui se veut exhaustive mais incomplète, et dont la tension narrative se dilue dans une mosaïque de fragments ambitieuse mais difficile à manier.

J’ai préféré construire une narration partiale en choisissant trois zones distinctes de la ville.

La première, plutôt dense, aux frontières quelque peu irrégulières, s’étend entre les deux gares principales. Cette zone, présentée dans une série panoramique de cinq photos couleur prises de la tour la plus haute de la Piazza della Republica, est l’un des lieux qui m’est le plus familier; un lieu où, avec le temps, je suis revenu périodiquement et avec lequel j’ai inévitablement établi des rapports subjectifs très personnels. Après guerre, cette zone a connu une reconstruction massive.(…) Aujourd’hui, cette « citadelle », île qui perd peu à peu de sa compacité en atteignant ses limites naturelles, laisse voir clairement nombre de caractéristiques somatiques révélatrices de cette ambition, de l’agressivité et de la naïveté que les évènements politiques et les illusions économiques des années d’après guerre lui ont données.

La deuxième partie est constituée de quelques fragments, apparentés aux « fouilles » urbaines, tirés de l’observation de la ville du Novecento  et d’autres endroits jouxtant le centre historique et caractérisés par la présence de monuments et de bâtiments historiques importants. Cette série d’images a été réalisée en rassemblant des lieux différents, pas nécessairement voisins ; des endroits qui ne se distinguaient pas par une identité de style ou d’époque, mais par un même sens de cohérence de certains espaces – principalement des squares –  et une diversité qui coexiste dans d’autres. C’est une ville qui, malgré tout, n’a pas perdu son identité ; c’est le « noyau dur », modèle à l’opposé du précédent, que l’on ne devrait pas oublier et, si vous me demandez mon avis, d’où l’on devrait repartir.

Pour terminer, la troisième zone concerne la banlieue. Ceci conduit à une longue exploration d’un territoire créé par des incursions successives qui a pris la forme d’une peau de léopard. C’est le territoire le plus complexe et le plus cosmopolite, la zone où les villes débordent de leurs propres frontières, et où leur tissu « couturé », abandonné depuis des années à une léthargie rampante, développe de nouvelles couches de peau imprévues. Avec le temps, voici le lieu de la coexistence urbaine maximale : dans l’attente de transformation depuis plus de vingt ans, s’étendent, côte à côte, ces vastes étendues abandonnées de la « ville des usines », d’immenses espaces verts (les derniers bastions de la résistance agricole qui marquent les limites de Milan et offrent, grâce au site découvert et à l’éloignement, une vue sur une ville dont on voit rarement la ligne d’horizon), les innombrables immeubles neufs groupés en ordre le long de limites redessinées, et d’autres installations sur les routes d’accès à la ville.

Vous avez là, la grande métropole qui vit sa dernière métamorphose avant l’arrivée du troisième millénaire.

Gabriele Basilico. Milan, Juin 1998