Pour sa quatrième exposition monographique à la galerie anne barrault, David B. poursuit une quête au long cours initiée avec L’Ascension du Haut Mal. Dans ce récit autobiographique publié en six tomes de 1996 à 2003, David B. retraçait le développement de l’épilepsie de son frère Jean-Christophe et son incidence sur les membres de la famille. Il y analysait, aussi, le déploiement progressif de sa propre création. Aux histoires de vie se mêlaient des figures imaginaires et des récits de rêve ; le monde de David B., traversé par des héros bataillant sans trêve et des créatures protectrices et bienveillantes, était tiraillé entre les forces de la conscience et celles de l’inconscient, le rationnel et l’irrationnel, l’équilibre et le chaos. Une douzaine d’années plus tard, invité par Anne Barrault à développer sur les murs de sa galerie une forme différente de narration, David B. reprend le fil de sa recherche sur son frère, dont l’état de santé se dégrade. Il souhaite « dessiner quelque chose qui évoquerait toutes les crises de [son] frère une à une, de les dessiner chacune l’une après l’autre »1. Déployée en 72 dessins, l’exposition « Mon Frère et le Roi du Monde » confronte et articule 36 portraits de son frère à 36 portraits du « Roi du Monde » (créé par René Guénon dans un livre éponyme). Deux murs de 36 dessins permettent de construire les liens de multiples manières. Y sont brouillées les frontières entre le bon et le mal, le juste et ce qui ne l’est pas, l’aujourd’hui et les hier, l’intérieur et l’extérieur.
David B.
L’invention de l’écriture, 2024
encre, gouache, acrylique et crayon sur papier
39 x 29,5 cm (x3)
Hanté par la mort récente de son frère survenue à la fin de l’année 2023, David B. entreprend une nouvelle série de dessins sur lui. « C’est cela qui me vient naturellement, l’envie de le dessiner lui, ce qu’il a été, ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait. De le faire vivre, d’une certaine façon. »2 Il y a cette matière vive de souvenirs récents, cette dernière nuit que David B. a passée avec son frère, marquée par un monologue dit et chanté, incompréhensible – une agonie lumineuse et sereine. Et ces interrogations restées sans réponse sur ce que ce grand frère, privé progressivement d’une partie de sa mémoire et de l’usage d’une langue apprise, pouvait ressentir. Dans ces dessins, c’est le corps de son frère qui vient d’abord. « Le corps a beaucoup d’importance car mon frère a été beaucoup touché dans son corps. La maladie, ses crises, et le fait qu’il tombe, qu’il se blesse ». Un corps abîmé par les chutes et les médicaments, qui se disloque de l’intérieur, se fragmente, perd ses liaisons habituelles. Ce « frère en morceaux » que David B. dessine, il l’a « souvent vu comme si chaque chute cassait un morceau de lui ». Mais c’est aussi un corps lisant, attaché aux mots, ceux des livres de sa mère, ceux qu’il prononce, et ce nouveau langage qu’il crée. Un triptyque traite ainsi de « L’invention de l’écriture », et des lettres émergent des corps.
Installé à Bologne depuis plusieurs années, David B. y a réalisé cette série de dessins. Il reprend et mêle encre, gouache, acrylique, crayon, dans la palette noire, blanche et grise qu’il affectionne. Il peint et dessine sur des papiers variés, certains ont été récupérés et recoupés au format 30 x 40 cm (celui des planches, et de ce qui peut-être transporté facilement) : il y a un jeu à s’adapter à leurs capacités d’absorption, de dilution. L’élaboration de ces dessins se déploie sur un temps long, même si le projet est posé en amont, dans un carnet, sous la forme d’une matrice ébauchée. Les futurs dessins y sont des cases esquissées, avec des titres ; « souvent je commence par le titre, et je trouve un dessin qui correspond à un titre ». Il y en a plusieurs par page, et on navigue dans ce carnet comme dans une galerie de tableaux, ou comme dans un story-board un peu abstrait, où la lecture des titres construit en pointillés une histoire énigmatique. David B. cultive en effet la nécessité de se laisser guider au moment du faire, retouchant si nécessaire des oeuvres qui se montent progressivement : « je fais tout directement sur la page au définitif ; cela ne veut pas dire que je vais vite, je réfléchis beaucoup. Je transforme directement, si ça ne va pas, j’efface, je reviens. Je colle un coup de peinture. » Il n’est pas surprenant, alors, de retrouver dans ses fréquentations actuelles deux figures du surréalisme, le peintre français André Masson (qu’il redécouvre raconté par Michel Leiris), et l’italien Alberto Savinio, écrivain, peintre et frère de Georgio Di Chirico. S’y lient des mots et des oeuvres plastiques singulières et en partie méconnues, qui bâtissent des mondes avec des choses qui n’y existent pas ensemble. C’est dans cette révélation de l’invisible, et la capacité de transcrire un monde mental d’une incroyable fertilité, traversé par une forme de tragique, que David B. nous transporte.
Camille de Singly
3 avril 2024
1 Mon Frère et le Roi du Monde, publié chez L’Association en 2016.
2 Cette citation, comme les suivantes, sont tirées d’un entretien non publié avec David B. du 5 mars 2024.
David B.
Mon frère en morceaux, 2024
encre sur papier
39,5 x 39,5 cm
David B.
Dans les poches de Jules Verne, 2024
encre de chine sur papier
42 x 30 cm (x3) / 101,5 x 51 cm avec cadre
vue de l’exposition de David B, galerie anne barrault, 2024 (photo Aurélien Mole)
David B.
Bar Bar, 2024
encre, gouache, acrylique, crayon sur papier
42 x 29,5 cm / 53,5 x 41 cm avec cadre
David B.
Mon frère et ses amis, 2024
encre, gouache, acrylique, crayon sur papier
41 x 51 cm avec cadre