Sarah Tritz

Du fauteuil de mon roi rose

2 avril - 30 avril 2011


« …d’un seul souffle… »*
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« La comtesse enlève ses plumes
et accepte de s’amuser avec une tige
plutôt qu’un meuble entier.
Néanmoins la tige doit retrouver
le marbre et le tilleul des Tropiques,
autrement elle n’a pas de force.’ »*

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Extrait de l’entretien réalisé par Guillaume Hervier au mois de janvier 2011

Qui êtes-vous, Sarah Tritz ?
C’est une question drôle. On a envie d’être dans l’auto-dérision face à cette interrogation.
Je répondrai avec un conditionnel et quelques bribes décousues.
J’aimerais être la petite fille de Rauschenberg et Phyllida Barlow, la nièce de Goya, et le cousin de Paul Thek par exemple.
J’aime le mélange des genres et par conséquent des époques. Je pense aux Reliquaires de Paul Thek. Ces oeuvres intègrent l’art minimal et la chaire, le détail, le bijou et le plexiglas. J’adore !
La comtesse enlève ses plumes et accepte de s’amuser avec une tige plutôt qu’un meuble entier. Néanmoins la tige doit retrouver le marbre et le tilleul des Tropiques, autrement elle n’a pas de force.

Pour ta première exposition personnelle à la Galerie Anne Barrault, comment envisages-tu l’espace d’exposition/ la galerie ? Cet espace est-il une contrainte ?
L’espace est toujours une contrainte, j’aime le modifier. Le travail me semble aller de la naissance de la forme dans l’atelier jusqu’à son accrochage, ça fait partie du processus de création qui accompagne les formes.
C’est une façon d’éprouver leur nécessité, et d’en faire l’expérience en dehors de l’atelier. Poser une pièce dans le lieu d’exposition sans prendre le temps de voir ce qu’elle signifie ici et maintenant, me semble périlleux et sans aucun sens pour mes formes.
Modifier l’espace et s’y installer quelques jours, c’est une mise en condition afin de se concentrer et de faire de bons choix.
Il me faut un lien entre les temporalités : le temps du faire et le temps de monstration et ce lien-là c’est l’ébauche d’un nouvel espace.
La question de « la mise en scène » et surtout de la mise en condition du spectateur est quelque chose que je prends toujours en compte. Comment intégrer le spectateur à un temps qui n’est pas le sien ? Comment lui faire prendre conscience de l’expérience possible face à une forme? Je dois beaucoup à Bernhard Rüdiger,qui fut mon enseignant à l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Lyon pour cette question-là.
Ainsi les seuils sont essentiels pour moi, ce sont des moments-clefs dans la perception.
Ce laps de temps où aucun repère ne fonctionne m’intéresse énormément. C’est le moment où on peut faire évoluer sa perception, et donc sa pensée, c’est parfois en cas extrême, un moment d’étrange effroi. C’est aussi ça que j’essaie de mettre en place lors de mes accrochages.
Peux-tu m’entretenir de ton rapport à ces référents? Uses-tu toujours d’un processus mémoriel pour réaliser tes images? Sont-ils des hommages à ceux qui traversent ta pratique, à tes doutes ?
Le processus mémoriel se fait en général à mon insu. Soit l’histoire de l’art navigue à son gré dans l’atelier, soit en effet je la convoque pour sortir d’une impasse formelle. Ou bien à l’inverse, les formes se font sans faire appel à des images de l’histoire de l’art. Je crois que plus on a vu de choses et plus on avance dans le temps, plus les références sont digérées, et apparaissent ça et là, subtilement je l’espère.
En effet des pièces comme Mes petites modernités sont des hommages à ceux et celles qui traversent ma
pratique. Arp, Kandinsky, Taeuber, Klee, Kupka, Matta, Miro, Schwitters et cela n’est pas exhaustif…

La notion d’immédiateté semble traverser ton travail, je pense au « totem » que tu montreras
probablement dans ton exposition, peux-tu nous en parler ?
L’atelier permet de s’installer dans le travail et de fantasmer les formes. C’est un lieu de projection. Il m’arrive souvent de détruire ce qui a été fait lors d’un premier geste et de continuer avec les traces de cette destruction. Recadrer, ajuster et enfin y déposer les détails. Si une intuition n’est pas recadrée elle perd en force. Elle peut même être très nulle. Il n’y a rien qui puisse exister sans paradoxe.
Avant de savoir où je vais il faut que je me retrouve face à une équation formelle à résoudre. J’aime passer plusieurs jours sur une même équation !
Cela n’empêche pas l’immédiateté. Je travaille aussi beaucoup sur des coups de tête. L’immédiateté du
« faire » ou de l’acte apparaît souvent après avoir éprouvé une joie suite à la vision d’une oeuvre. Cela ne signifie pas que je fais très vite chaque geste, tout dépend.
Il n’y a pas d’art sans acte. On ne peut pas totalement se libérer de l’acte. Une telle croyance conduit à la médiocrité, qu’on fasse de l’art conceptuel ou un autre type d’art. J’aime l’idée que Duchamp fut un expressionniste, un expressionniste pudique.
Quand je me replonge dans la sculpture la figure humaine revient inévitablement C’est une entrée en
matière.

L’oeuvre polymorphe de Sarah Tritz nous révèle à travers cette exposition personnelle
à la Galerie Anne Barrault son attachement à l’espace et aux modalités de son
appropriation. L’artiste présente ses nouvelles pièces empruntes d’un anachronique
lyrisme, où les formes architecturales jouxtent ses collages et dessins. Les expériences
de constructions-déconstruites suggèrent les pistes de perdition et nous pousse à en
franchir le seuil.
Les variations autour de ses propres référents qui chevauchent l’histoire de l’art et
balisent l’esthétique de cette dernière, confère à son oeuvre une sincère désinvolture
quant à l’esthétique actuelle. Cette démarche convoque un projet ambitieux, celui de
réactiver le radicalisme d’un art total. Mais est-ce là une oeuvre totale qui est adressée
au public ou une dérive possible ?
Une problématique à laquelle ne déroge pas le travail de Sarah Tritz est bien celle du
geste, à savoir comment le transmettre à travers ses productions. L’immédiateté, ou
plutôt l’instantanéité de réalisation de ses pièces vient en donner une expression
temporelle. Une cristallisation du geste nous lie à ses désirs, à ses songes et à ses
doutes. « Structurel » et « sauvage » résumerait le paradoxe qu’entretient Sarah Tritz
avec la trace de sa gestuelle. Un meuble pensé comme socle, des fragments de pièces
disparates et les principes mémoriels de réalisation de ses dessins et collages rendent
compte de la pluralité de sa production. Dans les dédales qu’engagent la diversité des
supports et points d’accroches qu’elle y parsème, l’expérience physique s’inscrit
comme une articulation incontournable.
A l’expression délibérément maladroite de certaines de ses pièces vient s’ajouter une
recherche très aboutie de matériaux. A l’instar de ses collages, l’agencement de ses
productions où accumulation et saturation stratifient les compositions, évoque la
résistance de l’artiste dans sa confrontation à l’objet. Au coeur de cet environnement, la
configuration de la galerie se voit malmenée, elle y surimpose une structure formée par
des murs en carreau de plâtres. Cette réfraction projetée dans l’espace dédié à
l’exposition permet la transition du temps d’expression à l’instant de son apparition.
C’est au regard de ces productions qui nous poussent en marge de toute classification
artistique que nous prenons la mesure des dérives et diversions orchestrées par
l’artiste.

Guillaume Hervier

*Les citations en exergue de cet article sont extraites d’un échange entre Sarah Tritz et Guillaume Hervier lors de l’élaboration de la présente exposition.