La galerie anne barrault est heureuse d’accueillir la première exposition personnelle de Jagdeep Raina à Paris. Ce jeune artiste canadien présentera un ensemble d’œuvres inédites, composées de broderies et de dessins.
La pluralité de l’Histoire constitue peut-être le sujet principal des œuvres de Jagdeep Raina. Originaire de la région du Cachemire qui borde le Pendjab, sa famille a émigré au Canada dans les années 1960 en raison du climat politique et communautaire instable de l’époque faisant suite à la Partition de l’Inde et du Pakistan en 1947. Le départ des autorités britanniques de la région a donné lieu à sa division violente en deux États-nations indépendants, s’accompagnant de déplacements de populations colossaux de part et d’autre et au delà des nouvelles frontières.
En s’intéressant à diverses techniques textiles (broderie du Cachemire, broderie du Pendjab, châle, phulkari), Jagdeep Raina reconnecte et ravive un héritage ancestral aujourd’hui en voie de disparition. Par ailleurs, les techniques liées à l’usage du textile ont longtemps été des activités exercées par les femmes et elles demeurent aujourd’hui encore très genrées. Ce remaniement des configurations historiques témoigne ainsi de son désir de contester les ordres répressifs, tout en révélant les hiérarchies de pouvoir qui se jouent à travers le genre, la classe, la caste, la race, la sexualité et la géographie. La pratique de Raina implique donc tradition et transgression dans une égale mesure. Pour créer ses œuvres, il s’inspire de sources photographiques historiques ou informelles, trouvées ou bien réalisées par ses soins. À travers les matériaux fluides et malléables que sont le dessin, la tapisserie brodée, l’écriture, la céramique, l’animation vidéo et, plus récemment, le film 35 mm, il utilise des stratégies de reproduction et de réappropriation en vue de perturber la fixité de l’archive. Raina s’interroge sur les relations intimes qui existent entre archives personnelles et archives publiques, mettant en valeur ce qui nous relie à l’Histoire en vue de nous faire prendre conscience de récits qui nous dépassent.
Pour sa première exposition en France, Raina a souhaité confronter la France à son passé orientaliste et colonialiste. Rapporté de la campagne d’Egypte par les soldats français en 1798, le châle cachemire devient l’accessoire de prédilection de Joséphine de Beauharnais, puis de Marie-Louise d’Autriche, ainsi que de Madame Rivière, dont le portrait réalisé par Ingres en 1805 met d’ailleurs l’un de ces châles au premier plan. Le châle cachemire devient un objet de luxe et demeure à la mode durant la majeure partie du XIXe siècle, avant que la tendance ne passe et ne laisse sans ressources les travailleur.se.s de la région. Si Raina souhaite faire référence à la violence des modes d’exploitation et de commercialisation exercée par la France au moment de la production des tissus de l’époque, il met également en place une forme de résistance. Dans une série de six dessins encastrés avec une technique de courtepointe, on observe une femme cachemirie entrer dans un magasin de tissu au Cachemire pour se faire ajuster un manteau cousu, tissé et brodé à la main. On la voit prendre la pose tout en riant chaleureusement avec les vendeuses. Cette scène ne dépeint pas un lieu ou un moment spécifique, mais agit plutôt comme un rêve. Ce fantasme est puissant puisqu’il opère un renversement en suggérant un scénario alternatif en faveur de celles et ceux qui ont été contrôlé.e.s, exploité.e.s et abusé.e.s.. Par ailleurs, la récupération du vêtement traditionnel cachemiri comme un objet de parure et de protection participe de cette reconquête métaphorique du territoire qui est un thème récurrent et poignant dans l’œuvre de l’artiste.
Elsa Delage
Jagdeep Raina, vue de l’exposition Towards the valley
(photo Aurélien Mole)
De verdoyants jardins luxuriants où s’épanouissent des fleurs colorées avec des montagnes enneigées en toile de fond. Un air frais et vif. De riches house-boats le long de la berge de la rivière, aux intérieurs luxueux avec des meubles en bois sculpté à la main, de grands lustres suspendus dans chaque pièce, des tapis de soie faits main qui couvrent les sols, et des lampes somptueuses qui réchauffent chaque pièce. Les vérandas laissent entrer la beauté de la nature, et la rendent encore plus proche, vous permettant d’être à la fois spectateur et participant. La nature est harmonieuse, se déroulant librement, sans contrainte.
Le climat du Cachemire est unique, avec ses quatre saisons qui apportent encore plus d’émerveillement et de dimension à son paysage déjà varié. La beauté naturelle du Cachemire s’étend à tous les aspects de la vie là-bas, de leur riche culture, aux tapisseries complexes tissées à la main, aux châles et soieries, sans oublier sa cuisine savoureuse et les épices, mais surtout la beauté et l’optimisme des cachemiriens. Les célébrations et rassemblements montrent leur façon dynamique d’être cachemirien, malheureusement avec un autre décor : des dizaines d’années de guerre et de conflit qui perdurent encore aujourd’hui. Le contraste est saisissant entre la beauté naturelle du pays et les années d’occupation militaire. Il illustre la réalité de la résilience, la force et la beauté du peuple cachemirien.
Quelles sont les fibres qui composent le tissu de la culture et du style de vie des cachemiriens qui relient à la fois le passé au présent, la tradition à l’innovation ? Dans un monde qui change vite, certaines choses demeurent. L’artisanat traditionnel et les formes d’art comme le tissage, le travail à l’aiguille, la broderie, la sculpture sur bois ne peuvent être réalisés dans la précipitation, chaque étape est nécessaire pour créer le résultat final. Les courtepointes de Jagdeep représentent une femme dans un atelier traditionnel cachemirien de couture qui essaie un manteau tissé, cousu et brodé à la main. Dans la série de courtepointes, on voit la femme à chaque étape du processus. Ce manteau s’appelle un Choga ou Pheran, et est à la fois une création artistique et un vêtement utilitaire fait pour couvrir et protéger le corps. L’atelier est un havre de paix empli d’une chaude lumière, d’objets traditionnels faits main, représentant le patrimoine, le foyer et l’appartenance. Toutes les courtepointes sont violettes, couleur autrefois réservée à la royauté et à l’élite, la quintessence du luxe.
Les maisons de couture du monde entier sont connues pour posséder les vêtements les plus beaux, créant de nouveaux modèles comme ré- imaginant des classiques connus. Ces créations incarnent non seulement la vision et les valeurs de la maison de couture, mais aussi le climat socio-économique et politique en constante évolution de l’époque. En revanche les chogas et pherans du Cachemire, qui remontent au 16ème siècle, sont restés inchangés. Le Cachemire et l’Inde en général sont uniques dans leur façon d’être fidèles à la tradition, sans effort, tout en assimilant les changements apportés par la mondialisation.
En Occident, les modèles de couture uniques ne sont généralement accessibles qu’aux personnes fortunées, car le coût pour avoir un vêtement fait main peut être très élevé. Ce n’est pas le cas en Inde, où la plupart des gens ont leur propre tailleur, une tradition qui remonte à plusieurs siècles. Le processus de création d’un vêtement pour une occasion ou un événement est très personnel. C’est avec le tailleur que le tissu est choisi, puis que le modèle et la coupe sont créés.
La diaspora sud-asiatique tient à des éléments de ces traditions, que ce soit des objets, des photographies, des vêtements, pour nous rappeler qui nous sommes. Ma mère aimait beaucoup coudre et broder. À quinze ans, elle a commencé à coudre des draps de lit et des oreillers brodés à la main de motifs floraux. Elle faisait aussi à la main des châles et des tapis. Elle a cousu et orné de perles son propre châle de mariage et son chunni, qu’elle a ensuite transmis. En grandissant, je me souviens qu’elle cousait la plupart de nos vêtements. En tant que mère émigrée au Canada, ce n’était pas seulement rentable, mais cela nous permettait aussi de nous pavaner et d’en tirer de la fierté. Notre histoire, nos ancêtres, les expériences partagées nous suivent où que nous allions. Notre identité est complexe et stratifiée. Il y a des traumatismes générationnels, des années de souffrance, de lutte et d’oppression. Mais il y a aussi de la beauté dans l’humble résilience de notre peuple, et notre optimisme incorrigible. Pris ensemble, ces facteurs créent le tissu de notre identité, la fibre même de notre être. Chaque fibre s’entrelace pour créer quelque chose de vraiment beau.
Pardeep Bassi
Jagdeep Raina
Kashmiri birds, 2020
Broderie sur mousseline
35,6 x 25,4 cm
Jagdeep Raina
Adorned in her Mango shaped choga, 2023
techniques mixtes sur papier, cousues avec du tissu brodé, frappé, mouillé, relié pour former un édredon
91,44 x 101,6 cm
Jagdeep Raina
The last bits of thread, 2023
Techniques mixtes sur papier, cousues avec du tissu brodé, frappé, mouillé, relié pour former un édredon
101,6 x 91,44 cm
Jagdeep Raina, vue de l’exposition Towards the valley
(photo Aurélien Mole)
Jagdeep Raina
The edge, 2023
broderie sur mousseline
30,48 x 17,78 cm
(photo Aurélien Mole)
Jagdeep Raina
Beautiful weaver, 2020
Tapisserie brodée, Kashmiri Ambi sur coton
50,8 x 20,3 cm
Jagdeep Raina
Boundless, 2023
Broderie sur mousseline/ Embroidery on muslin
33 x 18 cm
Jagdeep Raina
Inderjeet, stay with her, 2020
Broderie sur mousseline
55,9 x 22,9 cm
Jagdeep Raina
Madame Rivière, 2023
techniques mixtes sur papier
127 x 127 cm
(photo Aurélien Mole)
Jagdeep Raina
Josephine, 2023
Techniques mixtes sur papier127 x 127 cm
(photo Aurélien Mole)
Jagdeep Raina
Good Luck, 2023
techniques mixtes sur papier
101,6 x 66,04 cm