Ce serait le moyen de transformer le moindre objet en quelque chose d’intéressant. On partirait par exemple d’un catalogue ancien de mobilier mi-démodé mi-boursouflé, une publication des années 1920 mais pas un bel échantillon au goût moderne de l’époque avec des bureaux art déco ou des chauffeuses aux lignes épurées, plutôt une galerie de tables rustiques aux piètements noueux et ouvragés, du lourd comme on dit aujourd’hui. On aurait, grâce à ce moyen, l’occasion de les regarder différemment, de voir par-delà leur aspect. Et bientôt, on serait surpris de leur trouver un certain charme à ces plateaux épais fixés sur de grosses colonnes en spirale avec leurs boules de bois massives comme des genoux enflés. On percevrait leur légèreté insoupçonnée et leur grâce restée longtemps ignorée de tous, qui donnerait envie d’en faire l’acquisition sous cette forme dessinée. Une console encombrante et pratiquement inamovible ne conviendrait pas dans votre living room ? Vous n’avez aucunement besoin d’un équipement ménager de grand-mère qui par ailleurs ne vient pas spécialement de chez votre grand-mère ? Pas de nécessité de bloquer votre entrée avec un solide comptoir en bois sombre qui prend la poussière? Eh bien, c’est votre jour de chance, ces modèles existent maintenant en versions revues par l’artiste, légèrement voilés pour filtrer leur lourdeur de base et révéler chaque fois, dans un entrelacs ondulant, un visage nouveau et unique. Recouvertes de nappes vibrantes, vous les reconnaitrez toujours mais vous pourrez les admirer dans une version transfigurée.
Ce moyen est visible et demeure un mystère. Vous en observez à loisir le résultat et l’artiste en personne pourra vous l’expliquer – dans la limite de ses disponibilités – mais son intervention se décide entre lui et lui dans un mélange d’intuition et d’élan.
Pour orner ces énormes tables, on aurait pu placer des bouquets de pivoines ou de gigantesques glaïeuls, arranger des dahlias dans un vase rebondi ou une potiche grand style. Mais les supports concrets s’étant mués en œuvres de Jochen Gerner, il a fallu procéder de la même façon avec les fleurs. C’est ainsi que par le même geste révélant les objets sous des lignes inspirées de leurs propres formes, les fleurs se sont retrouvées cachées-révélées à travers quelques ouvertures puis parsemées de confettis codés.
Il ne restait plus qu’à ajouter à cet ensemble quelques minéraux et une station de ski. Pourquoi le ski? Enfin, parce que c’est un excellent sport qui permet de tracer des lignes.
Valérie Mréjen