On connaît Killoffer pour ses publications en bandes dessinées, pour ses illustrations dans Libération et autres magazines puis, depuis quelques années, pour ses dessins exposés dans la galerie d’Anne Barrault. De toutes ces collaborations et pensées diverses, on peut constater que, cet artiste peut et sait développer plusieurs styles, plusieurs manières, très différentes tout en restant « du Killoffer » et sans ressembler à autre chose. On peut lui trouver des affinités électives avec d’autres artistes présents ou passés, mais Killoffer a su imposer sa marque de fabrique sans en faire un logotype. Il ne répète pas inlassablement le même truc, fait assez remarquable de nos jours. Killoffer sait et aime mettre en danger ses acquis, meilleure manière d’évoluer et accessoirement, de ne pas s’emmerder une vie entière à gérer en bon père de famille un petit capital caché sous le matelas. Il ne se repose pas sur ses lauriers, comme on dit.
Un élément relie tous ces styles-manières empilés, élément qui revient dans beaucoup de ses œuvres : c’est la matière. Grain du papier révélé par frottage de la mine de plomb façon Seurat, reproduction quasi hyperréaliste de matière existante façon Vija Celmins (mais avec de l’humour…), etc.
Les derniers dessins de Killoffer ne contrarie pas cette constatation. Ils vont même un cran plus loin puisqu’ils sont matière même pour la plupart : froissages, peau d’éléphant, paysages lunaires, fumée. Un dessin sur un grand lé de papier préalablement froissé propose des abstractions organiques faites au crayon dans les replis et plis. Formes qui rappellent celles que Chuck Close utilise comme trame à ses monumentaux portraits. On dirait des gros plans sur l’épiderme. Ce n’est pas très loin du remplissage propre à l’art brut et à sa poésie répétitive. Vrai trompe-l’œil sur faux trompe-l’œil.
Un autre dessin, faux froissage dessiné sur vrai papier lisse (1) fait écho au précédent. Et cet effet de froissage trouve une résonance dans une autre œuvre, au fond du trou dans lequel des vers inquiétants (mais souriants) se précipitent.
Il serait réducteur de confiner Killoffer dans ce seul secteur et d’en faire le chef de file du mouvement matiériste. Killoffer est – et reste – le grand dessinateur acerbe avec tout son humour noir toporien. Quelques-uns de ses classiques pour périodiques sont exposés, comme ce fantôme effrayé oxymore exhalant une fumée intérieure laissant penser que tout ne va pas très bien, Madame La Marquise ; ou ce petit bonhomme couronné d’un champignon atomique prouvant bien que le monde qui l’entoure n’est pas non plus au meilleur de sa forme.
Killoffer, c’est un peu comme cette fameuse ritournelle : il est passé par ici, il ne repassera pas par là.
Philippe Ducat, 17 avril 2010
- Notons que représenter un papier lisse en trompe-l’œil sur un support froissé tient de la gageure : le concours est ouvert…