Manuela Marques

Vortex

6 novembre - 10 janvier 2026


À l’image du tourbillon de poussière qui se forme sous nos yeux dans la vidéo qui a donné à l’exposition de Manuela Marques son titre, Vortex semble traversée par un même souffle : celui des phénomènes naturels qui animent le système terrestre. Vents, tempêtes, nuages, courants marins et atmosphériques, mais aussi forces volcaniques et sismiques parcourent l’exposition de part en part.

Plusieurs photographies dans l’exposition suggèrent des passages, des changements d’état entre les éléments, comme les vagues d’une mer agitée qui semblent se pétrifier dans Storm (2022), ou les nuages qui évoquent la formation d’une colonne de cendres volcaniques dans le diptyque Phénomènes (2018).

D’autres images, à l’exemple de la tempête que Manuela Marques perçoit dans une chevelure en plein mouvement (L’Œil du cyclone 1, 2022), font se télescoper différentes échelles d’espace et de temps – de l’échelle tellurique à celle du corps humain, du temps astronomique à l’expérience subjective du présent. Chacune d’elles met en jeu notre relation à des phénomènes qui nous dépassent tout autant qu’ils déterminent nos existences.

Réunissant douze photographies réalisées entre 2019 et 2022, le « mur d’images » que Manuela Marques a imaginé pour l’exposition intensifie ces jeux d’échelle, de correspondances, de passages entre les éléments naturels. Des images liées au monde volcanique (Bombe 4, 2022 ; Explosion 1, 2021 ; Explosion 2, 2022) ou à l’étude du système solaire (La Mesure du Soleil, 2022) se mêlent à des observations faites dans le quotidien. Dans plusieurs de ces œuvres, comme pour mettre l’accent sur la subjectivité du regard et établir une proximité, les phénomènes naturels nous sont donnés à voir par le prisme d’un reflet – à la surface de l’eau, par exemple, dans Fusions (2022).

Un autre ensemble de quatre photographies, Records (2018), peut être perçu comme « l’œil » du vortex autour duquel tournoie l’exposition. Y figurent des documents d’archive que Manuela Marques a découverts à l’Observatório Afonso Chaves, situé à Ponta Delgada, dans les Açores, où elle s’est régulièrement rendue entre 2017 et 2021. De 1903 jusqu’au début des années 1980, ce type de bandes de papier recouvertes de noir de fumée y fut employé pour enregistrer l’activité sismique de la région.

Les enregistrements que Manuela Marques a choisi de photographier témoignent d’un épisode sismique et volcanique majeur qui a marqué l’archipel : les éruptions du volcan Capelinhos, qui se sont produites à la lisière de l’île de Faial entre 1957 et 1958 et ont durablement modifié le visage géologique, mais aussi humain, des Açores. En raison des éruptions, qui ont englouti un village de baleiniers, de nombreux habitants ont émigré, notamment vers les États-Unis et le Canada, tandis que Faial s’agrandissait de quelques kilomètres carré.

À l’instar de ces enregistrements, la photographie joue ici, dans l’exposition, le rôle d’un sismographe. Elle tente de figurer des forces insaisissables, imprévisibles, souterraines, qui ne se manifestent souvent à nous qu’indirectement. « Comment enregistre-t-on l’invisible ? », interroge Manuela Marques dans les notes de ses séjours aux Açores. Les images qu’elle a rassemblées dans Vortex semblent guidées par ce questionnement. Œuvres ouvertes, elles nous invitent à accorder une place, dans nos représentations et dans nos vies, à ce qui nous échappe.

Christophe Gallois
octobre 2025