Restons courtois

Fayçal Baghriche, Katharina Bosse, Mimosa Echard, Guillaume Pinard, Bernhard Rüdiger, Sarah Tritz, Heidi Wood

8 septembre - 20 octobre 2012


Cette réunion d’artistes souhaite provoquer la même sensation que le bruit de la craie sur le tableau. Mais, différence notable avec cet exemple, c’est que la gêne, le rejet ou le mal à l’aise s’installeront imperceptiblement. Sournoisement, comme les colibacilles ou la Shigella qui se sont introduites dans le délicieux sandwich grec que vous êtes en train d’ingérer – lequel finira par ressortir plus vite qu’il n’est jamais entré.

Le titre de cette exposition a été emprunté à un taux ridicule dans l’opus goncourtisé de Michel Houellebecq intitulé La carte et le territoire (page 63, éd. Flammarion, Paris, 2010). Houellebecq y écrit :

« […] Elle se tourna vers lui, le regarda pensivement pendant quelques secondes avant de demander : “— Vous êtes l’artiste ? — Oui.” Elle le regarda de nouveau, plus attentivement, pendant au moins cinq secondes, avant de dire : “— Je trouve ça très beau.” […] Pour l’exposition, [Jed] avait choisi une partie de la carte Michelin de la Creuse, dans laquelle figurait le village de sa grand-mère. Il avait utilisé un axe de prises de vues très incliné […] afin d’obtenir une très grande profondeur de champ. C’est ensuite qu’il avait introduit le flou de distance et l’effet bleuté à l’horizon, en utilisant des calques Photoshop. […] “— Vous avez fait beaucoup de photos dans ce genre ? — Un peu plus de huit cents.” »

Bernhard Rüdiger accrochera à hauteur de tête d’homme normalement constitué ce qu’il appelle des Casques avec paratonnerre. Sorte de coiffes contemporanéo-chamaniques, à mi-chemin entre les parures amazoniennes et le casque à ultra-ions permettant une connexion illimitée avec le Cosmos (weeks-end compris). C’est assez singulier car tous les éléments ethniques sont présent – couleurs, matériaux (bois pour ce qui seraient les plumes et terracotta pour la toque). Quoiqu’il en soit, le visiteur ne risque pas d’être frappé par la foudre, le bois et la terre cuite n’étant pas conducteurs. Juré.

Faycal Baghriche sera présent à travers son film vidéo intitulé Philippe. Selon le bon vieux principe de l’inversion, un pharaon est installé à côté de la station de métro Louvre. Tel qu’on le voit habituellement devant Beaubourg, tout de doré vêtu, raide comme un piquet, il ne bouge que lorsque le passant a placé quelques centimes d’euros dans la coupelle à ses pieds. Le décalage tient au fait que c’est un mannequin qui est glissé sous la toge d’or dès le début du film. Le touriste, habitué à ce que ce soit toujours un être vivant déguisé en pharaon-fantôche, verse son obole et se fait photographier devant. Mais rien ne se passe. Pas le moindre mouvement, et pour cause. Une dizaine de personnes donne généreusement tout au long de ce dimanche 4 mai 2008 (c’est mentionné précisément). Je ne dévoile pas la fin sinon personne ne regardera jusqu’au bout le film – et la rémunération de cette chronique ne sera jamais versée sur mon compte en Suisse.

Heidi Wood pour sa part, installera ses détournements : des Assiettes souvenir sur lesquelles sont imprimés des hauts lieux du tourisme tels que les sinistres ports industriels de Hambourg ou de Brême. C’est impeccablement réalisé, au point que ces assiettes pourraient fort bien être dispersées dans un magasin de souvenirs au pied de la citadelle de Belfort pour être acquises par des touristes qui ne remarqueraient même pas que le motif est en total décalage avec l’endroit visité… Idéal entre la gondole vénitienne lumineuse et le taureau camarguais banderillé en véritable plastique de Chine, sur le poste de télévision.

Guillaume Pinard exposera un dessin (Le pêcheur, 65 x 50 cm) plutôt repoussant, et je reste courtois, qui, comme tout ce qui provoque ce genre de réaction, est terriblement attractif. Sans aller plus loin dans la description, je laisse aux curieux le soin de découvrir l’horreur (vieille stratégie publicitaire pour faire venir le public). Ceux qui connaissent l’œuvre de Guillaume Pinard savent que c’est un spécialiste des freaks.

Pour rester dans le domaine de la panne de secteur, Sarah Tritz est en train de réaliser une pièce spécialement pour cette exposition donc, une fois de plus, je ne vais pas pouvoir beaucoup vous éclairer à son sujet… Je ne vais pas non plus vous décrire un film animalier pour occuper l’antenne. Donc, voici ce qu’a confié l’artiste à Madame Anne Barrault —responsable de la galerie qui porte curieusement le même nom :

« “Restons courtois”, on imagine voir des pièces qui en disent long sur un état des choses. Cela sous-entend : Restons courtois mais rétorquons par les formes ! Restons courtois néanmoins, il y aurait de quoi provoquer un duel ! Je n’ai pas envie que les formes soient seulement courtoises, bien que j’aime beaucoup l’idée de la courtoisie. Oui pour ce titre, si les formes montrées sont d’apparence courtoise mais seulement d’apparence ! »

Mimosa Echard présentera des couteaux en céramique qu’elle a modelés. Les lames sont ébréchées, leur fil n’est plus tellement rectiligne. Placés sur un support à hauteur de regard, les uns derrière les autres de manière désordonnée dans un ordre bien précis, ces couteaux créent un paysage désolé, sans végétation, lunaire. Ou bien de haute montagne. Plutôt de haute montagne d’ailleurs. Enfin, il y a bien des montagnes dans la lune, non ? Cette œuvre est très poétique mais, si je vous dis que je ne l’ai pas vue, vous allez me croire.

Katharina Bosse accrochera ses peintures de fleurs sur fond de fleurs. Cette tautologie végétale est troublante car, on sent bien qu’il y a quelque chose de bizarre mais il faut un certain temps pour s’apercevoir du dispositif. Bon, c’est pas très courtois de vous dévoiler la fin de l’histoire, mais vous n’avez qu’à faire comme tout le monde : ne pas lire les prospectus qui vous sont fournis. D’ailleurs si vous en êtes à ce passage, c’est bien que vous avez fait preuve d’une application toute à votre crédit.

Ne nous fâchons pas (comme disait Georges Lautner en 1966).

 

The Duke  XXVII/VI/MMXII