Roland Topor, génie connu et méconnu

une proposition d'Alexandre Devaux

18 octobre - 30 novembre 2014

«  Topor est peut-être le plus grand esprit graphique du XXe siècle. »
Seymour Chwast, co-fondateur du Push Pin Studio.

 

L’exposition proposée par Alexandre Devaux à la Galerie Anne Barrault présente un ensemble d’œuvres de Roland Topor réalisées à différentes périodes et avec plusieurs techniques. Dessins à la plume au crayon, linographies, lithographies, dessins peints au spray ou au pinceau, photographies détournées dites « photomorphoses » offriront aux visiteurs la possibilité d’appréhender la diversité du génie graphique et polytechnique de cet artiste qui fut une avant-garde à lui tout-seul.

Roland Topor est né en 1938 et mort en 1997 à Paris, dans le Xème arrondissement. Son œuvre est foisonnante et protéiforme. Dessinateur, écrivain, artiste aux talents multiples, il a été publié dans la presse en France et à l’étranger : Bizarre, Hara-Kiri, Elle, Le New York Times, Le Canard enchaîné, Libération, Le Monde, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, et d’autres. Il a fait des livres, il a illustré les œuvres de plus de cent écrivains parmi lesquels Boris Vian, Marcel Aymé, Félix Fénéon, Tolstoï, Georges Sand, Pierre Benoît… Il a réalisé les décors et costumes de plusieurs pièces de théâtre et opéras pour Ligeti, Penderecki, Savary et d’autres. Il a écrit des scénarios de films, des pièces de théâtre, des chansons, des contes, des romans, des nouvelles. Il a été acteur dans les films de William Klein, de Raoul Ruiz, de Volker Schlöndorff. Il a conçu plusieurs films d’animation dont La Planète Sauvage. Il a participé à de nombreuses créations radiophoniques et télévisuelles, il est notamment l’auteur de l’émission pour enfants Téléchat et co-auteur des émissions Merci Bernard et Palace. Créateur du mouvement Panique avec Fernando Arrabal, Jacques Sternberg et Alejandro Jodorowsky, Topor a été lié à plusieurs mouvements et « familles » d’artistes, dont Cobra, l’International Situationniste et Fluxus. Ses dessins et peintures ont été exposés à de nombreuses reprises et sont rentrés dans plusieurs collections privées et institutionnelles parmi lesquelles : Le Centre Pompidou, Les musées de Strasbourg, le Stedelijk Museum, le musée des Beaux-Arts de Varsovie, le Stadtmuseum de Münich et d’autres en Italie, Suisse, Belgique, Suède, Etats-Unis…

Roland Topor a commencé à exister comme dessinateur dans la presse, une façon pour lui de se « frotter à la vie » en prenant ses distances avec l’artiste maudit qu’il aurait pu devenir s’il était resté le peintre que tout le monde voulait être. C’est avec le dessin surtout, et avec l’écriture, que Topor a su construire le vocabulaire de ses pensées. Topor était un penseur, mais un penseur actif. Un penseur armé d’un stylo. Un penseur capable d’observer le monde et de s’observer lui-même. Un penseur ayant le courage d’opposer aux consensus du marché, de la politique, de la société et de la culture, les paradoxes de son imagination, produit d’une confrontation des champs de la conscience et de l’inconscient.
Rares sont les artistes qui descendent aussi bas et qui montent aussi haut dans leur esprit. Rares sont ceux qui parviennent à transcrire ce qu’ils ont vu de tous les hommes, le bon et le mauvais, dans leur propre tête. Ce don de double-vue, dont pourrait disposer chacun mais auquel la plupart renonce, n’a été qu’un jeu pour Topor. « Je joue avec les images, les concepts et les genres », dit-il. Comme Evguénie Sokolov, le héros du conte de Serge Gainsbourg, Topor a su mettre au point le sismographe de ses tempêtes psychiques plutôt que de mourir étouffé sous l’encombrement, ou de refouler aux frontières toutes entités jugées honteuses par un sur-moi despotique. Pour devenir le maître d’un tel jeu, il faut déjà savoir que « jouer est une manière de rendre les choses moins graves, tout en leur donnant une autre gravité. » Le génie est là.

Pour éviter les pièges du conformisme et prendre la facilité de vitesse, Topor a mis au point des règles de création. Le dessin est une écriture rapide. La plus rapide peut-être. Mais il faut se méfier des labeurs de la réflexion pour que l’imagination puisse éclore et accéder au merveilleux, ou au fascinant :

« La pure imagination n’existe pas. Si je devais définir l’imagination, je dirais qu’il s’agit plutôt de souvenirs mélangés. C’est une faculté qui, comme le rêve, permet de déplacer cette hiérarchie des valeurs qui dominent la vie courante. Tout n’est pas inventé dans ce que je dessine. Il y a même certains éléments (une pose, un regard, un pli de vêtement) que je vais chercher dans les photos de magazine car j’aime qu’un même dessin soit fondé sur une certaine diversité d’intentions et de factures : un détail exactement observé renforcera l’étrangeté d’une situation ; telle partie du dessin demandera une exécution lente, une autre sera rapidement couverte, rendu réaliste et stylisation, à-plat et volume pourront coexister. Ma méthode ? Chercher d’abord un prétexte pour dessiner, une idée, que je trouve souvent en lisant ou en regardant des livres. Trouver cette raison pour me mettre au travail, c’est le plus difficile. Après il se produit un entraînement d’un dessin à l’autre. L’unité de cette série de dessins ne résidera pas dans un thème mais dans le laps de temps relativement court durant lequel je les aurai réalisés dans un état assez obsessionnel, si bien que dans ces périodes il m’arrive de rêver de dessins tout faits. Ma démarche est pour une grande part systématique. Par exemple, je peux partir de l’idée d’un personnage qui se tiendrait sur un doigt. Je multiplie alors les combinaisons, je cherche les analogies, les contraires. C’est comme un jeu. Je joue la partie du doigt : est-ce que ce personnage va se tenir en équilibre sur un autre doigt ? Ce doigt appartiendra-t-il à une main ? Etc. »

 

Une exposition de dessins de Gébé fera suite à celle de Topor tout en lui étant enchevêtrée. Un lien très fort existe entre ces deux artistes géniaux.

 

Au début de sa carrière Topor a dessiné dans la revue Bizarre, Gébé aussi.

Topor a été révélé au grand public par Jacques Sternberg dans le journal Arts, Gébé aussi.

Eric Losfeld et Jean-Jacques Pauvert ont été les premiers éditeurs de livres de dessins de Topor, et de Gébé aussi.

Topor a vraiment démarré dans la vie professionnelle en collaborant au journal Hara-Kiri, Gébé aussi.

Topor a été l’un des champions du renouvellement de l’humour graphique en France en 1958, Gébé aussi.

L’humour d’Hara-Kiri dans ses grandes heures a en grande partie été le fruit des collaborations de Topor, et de Gébé aussi.

En mai 68 Topor a participé à L’Enragé, Gébé aussi.

Topor était un dessinateur qui savait aussi écrire, Gébé aussi.

Topor a écrit des nouvelles, des romans, des pièces de théâtre, des films, des sketchs pour la télé et pour la radio, Gébé aussi.

Topor a participé à l’émission de télévision créée par Jean Frappat Tac au tac où des dessinateurs rivalisaient d’invention dans des jeux graphiques hérités de ceux, littéraires, des surréalistes ou du Grand jeu, Gébé aussi.

Topor lisait beaucoup, Gébé aussi.

Topor dessinait beaucoup, Gébé aussi.

Topor aimait les polars et le cinéma, Gébé aussi.

Topor était plutôt petit, Gébé aussi.

Topor est un grand dessinateur parce qu’il est un grand penseur, Gébé aussi.

Topor aimait les boissons alcoolisées, Gébé aussi.

Topor aimait fumer, Gébé aussi.

Topor a écrit de nombreux sketchs pour les émissions Merci Bernard et Palace, Gébé aussi.

Topor est une source d’inspiration énorme pour de nombreux dessinateurs, Gébé aussi.

Topor est né en 1938, Gébé aussi, mais neuf ans plus tôt.

Topor est mort en avril 1997, Gébé aussi mais sept ans plus tard.

 

Le duo Topor/Gébé est pour moi l’un des plus féconds au monde. Ce sont deux immenses puissances conceptuelles, graphiques, intellectuelles. Gébé joue avec les éléments conscients de la réalité. Il joue dans la lumière de la conscience en tournant le ressort de la logique jusqu’à ce que l’esprit lâche, jusqu’à l’absurde. Topor fait un peu la même chose dans l’ombre des eaux inconscientes ou subconscientes et souvent sans passer par la narration. Topor ne tourne pas le ressort, il fait directement le constat d’une situation où les ressorts ont tous lâché. Je me représente Gébé comme une « masse » blanche et Topor comme une « masse » noire. Chacun pourtant, et chacune de leur œuvre, porte en elle son principe contradicteur. L’exposition de dessins de Gébé sera posée en germe au moment de celle de Topor, pour éclore au mois de décembre, à la galerie Anne Barrault.

Texte et proposition d’Alexandre Devaux, historien d’art.

L’exposition présentée à la galerie Anne Barrault débute au moment de la sortie des livres Topor, dessinateur de presse, publié par Les Cahiers Dessinés, Topor Strips, publié par les Nouvelles éditions Wombat, J’ai vu passer le bobsleigh de nuit de Gébé, publié par Les Cahiers dessinés.

 

 

 

Roland Topor
Épigrammes de Martial, 1986
dessin à la plume,
29,5 x 21 / 32 x 23,2 (avec cadre)

 

Roland Topor
Épigrammes de Martial, 1986
dessin à la plume,
29,5 x 21 / 32 x 23,2 (avec cadre)