Avec « Un mot sur tant de bouches », Stéphanie Saadé joue de la familiarité comme d’une corde sensible. Son œuvre performative Aujourd’hui j’ai eu envie d’un changement de perspective (2022) annonce un basculement à la faveur duquel se dissipe l’ombre de l’oubli et du désintérêt. Les valeurs sont rebattues comme autant de cartes longtemps gardées en main ; la sédimentation des gestes, l’habitude, sont les points saillants auxquels il importe désormais de prêter attention. Dans la trame de sa mémoire, l’attachement est le fil ténu qui tient l’édifice du temps. Le toucher d’un drap, la banalité de ses motifs (Stage of Life, 2022), le bois d’un jeu (Échiquier, 2022), suggèrent, autant que l’ordinaire de vêtements ou de meubles standardisés (Pyramide, 2022, IKEA, 2022), une familiarité quotidienne dont la banalité est le lieu d’un commun. Ces objets sont les siens mais ils évoquent des habitudes qui sont aussi les nôtres.
Les œuvres qu’elle présente chez Anne Barrault racontent une exploration en plongée dans les plus petites choses. Le passé qu’elles convoquent est celui du temps qui coule sans bruit et qui continue à résonner en nous. Nombre d’artistes qui pratiquent la récupération, comme les nouveaux réalistes, s’intéressent au statut indiciel des objets. Utilisés comme support de mémoire, ils valent pour, suggèrent des absences et la chair du passé. Comme ces artistes, Stéphanie Saadé s’intéresse à des objets qui sont les compagnons discrets de banalités semblables. Loin de convoquer des reliques cependant, son œuvre matérialise la transformation et le devenir. En adaptant sa parure de lit d’adolescente aux dimensions de son appartement parisien (Stage of Life, 2022), elle affirme la puissance de l’adaptation, comme une croissance de l’inanimé. Le passé vit ainsi, pris dans une économie circulaire de l’intime que donnent aussi à voir Cercle familial (2022) et Where Eyes Rest (2021). Le cercle créé par les cheveux de trois générations de femmes unit différentes temporalités dans un présent partagé. Le passé dans l’œuvre de Stéphanie Saadé n’invite aucune nostalgie, il est au contraire le terreau d’une germination dont elle observe l’épanouissement progressif. La pulsion de vie se nourrit chez elle de mémoire et de partage.
Déborah Laks
Stéphanie Saadé
Échiquier, 2022
échiquier usagé, nacre
47 x 47 cm
(photographie Aurélien Mole)
vue de l’exposition Un mot sur tant de bouche de Stéphanie Saadé
(photographie Aurélien Mole)
Stéphanie Saadé
Pyramide (t-shirts), 2022
bodies et t-shirts de toutes les tailles existantes (du 0-1 mois au XXL), fil
80 x 90 cm
(photographie Aurélien Mole)
Stéphanie Saadé
Une nuit à l’hôtel, 2022
Rotana Centro Barsha (Dubaï), 15 – 19 septembre 2022
fil de l’hôtel Rotana Centro Barsha (Dubaï), 15 – 19 septembre 2022, taie d’oreiller usagée (60 x 65 cm), structure métallique thermo laquée.
60 x 65 cm
(photographie Aurélien Mole)
Stéphanie Saadé
Une nuit à l’hôtel, 2022 (détail)
Rotana Centro Barsha (Dubaï), 15 – 19 septembre 2022
60 x 65 cm
(photographie Aurélien Mole)
Stéphanie Saadé
Pyramide (chaussettes), 2022
chaussettes de toutes les tailles existantes (du 0-1 mois au 42), fil
14 x 32 cm
(photographie Aurélien Mole)
Stéphanie Saadé
Stéphanie Saadé, 2022
« Le monde de la fantaisie », Eric et Lucy Kincaid, Artima, collection Contes, Tourcoing, 1981
page de livre, graphite
19 x 12 cm / avec cadre : 32 x 26 cm
(photographie Aurélien Mole)