Lick the Toad

Tiziana la Melia, Tania Gheerbrant, Anne Bourse

19 juin - 7 août 2025


Lick the Toad rassemble des œuvres d’art, des objets et des ephemera, comme autant de fragments de vulnérabilité, de rêves et d’aliénation sociale. Le titre reprend un vers issu du poème Lots (2013) de l’artiste et autrice Tiziana La Melia, qui s’inspire des notions de destin et de contes de fées, alimenté par des récits tels que ceux des ouvriers qui filent de la laine toute la nuit pour rester éveillés pendant leur travail [1]. De même, avec un élan anticapitaliste et hallucinatoire, l’exposition perturbe les récits dominants de marginalisation et de soin. En canalisant la fiction de soi et de la société, lécher le crapaud devient un geste acide, corrosif pour la fonctionnalité et l’homogénéité, dépouillant les illusions pour révéler les vérités brutes des récits situés et des traumatismes personnels. En interférant avec des domaines compris entre réalité et autofiction, états altérés de conscience et rationalité, les œuvres fonctionnent sur un mode de compréhension qui prend part au monde à travers des correspondances et des métaphores, via une sorte de poésie qui manipule des morceaux et des fragments dans les forces et réalités dormantes de la vie.

Les associations libres et les divagations imprègnent le langage visuel et l’écriture asémique et intuitive d’Anne Bourse, façonnés par des expériences de dissociation et d’appropriation, d’assemblages et de plis. Fondés sur une vision fantomatique de l’apprentissage et de la création, ses écrits colorés et ses dessins spontanés abandonnent toute fonction communicative et entrent dans un royaume de l’indicible. H-Club, 2019, évoque des gribouillis spontanés et innocents, suspendus dans le terrain des arabesques et des automatismes. Un sentiment de liberté et d’innocence traverse ses livres artisanaux, imparfaitement copiés, collés, dessinés et imprimés, où la peinture, le crayon, le stylo et des fragments de signes insaisissables se mélangent avec des impressions numériques, comme dans Adorables Cochons d’Inde, 2018 (une crise d’épilepsie dans la version Cochon d’Inde de Brain, un journal de neurologie).

Les notions de santé mentale, de sous-cultures et de fantaisie alimentent l’installation de Tania Gheerbrant, dont la pratique est ancrée dans la recherche historique. L’artiste crée une scénographie éphémère et poétique de fresques murales et de vers à travers des impressions sérigraphiées sur des matériaux délicats tels que le tissu, le papier et la feuille miroir. Des slogans s’étendent à travers les affiches sur les murs, se mêlant au murmure rythmé des poèmes et des mots parlés des vidéos de l’installation. En invitant les spectateurs à explorer des magazines d’archives à faible tirage rarement vus sur les mouvements anti-psychiatriques, ces matériaux offrent une contre-histoire de la folie, déployant les mécanismes envahissants d’aliénation au sein d’une société disciplinaire. Le réassemblage d’éléments d’archives considère comment le storytelling et l’imagination peuvent alimenter la résistance collective au-delà des normes de contrôle social.

Tiziana La Melia trompe les conventions de la perception et de la communication à travers une esthétique du superflu, en abordant comment la classe, l’identité et l’immigration façonnent non seulement nos vies, mais aussi nos corps et nos gestes, opérant au sein de systèmes de pouvoir structurés par le langage. Son approche axée sur le processus évoque des souvenirs, des expériences, des objets et de la nourriture à travers des fables, des poèmes et des mythologies personnelles. Dans sa série Tabloids, le récit et le storytelling deviennent une forme de médecine. Des images fixes imprimées au format tabloïd sont disposées en forme de croix, évoquant à la fois le symbole d’une pharmacie et la notion de tabloïds comme médecine compressée. L’installation construite autour du dessin Spolvero[2] Cat and Mouse fait référence à un personnage de la série dramatique de fables Country Mouse City Mouse Hamster (également connue sous le nom de The Simple Life), un projet épisodique itinérant qui navigue entre la vie rurale et urbaine, la migration et l’appartenance. La grammaire visuelle de ses vidéos, performances, sculptures, peintures et dessins surmonte toute dimension empirique, déstabilise les lois de la logique linéaire, se situant dans des royaumes sémiotiques évocateurs et presque psychédéliques.

Sonia D’Alto

 

[1] Jane Schneider, “Folklore and the Merchant Capitalist Intensification of Linen Manufacture in Early Modern Europe” in Weiner, Anne B.; Schneider, Jane (Ed.), Cloth and Human Experience Washington, London (Smithsonian Institution Press) 1989
[2] « Spolvero » (italien pour « poudrage ») est une technique où un design est transféré en perçant des trous le long de son contour et en saupoudrant du pigment à travers eux pour créer une trace pointillée.

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Sonia D’Alto est historienne de l’art, commissaire et écrivaine. Ses recherches et sa pratique curatoriale explorent les liens entre superstition et modernité, folklore et taxonomies du pouvoir, à travers des gestes féministes, des pratiques magiques décoloniales et des cosmologies subalternes. Elle a travaillé sur ces sujets avec des institutions telles que la Biennale de Venise, Museo Madre (Naples), Documenta Studies (Kassel), Villa Arson (Nice), De Appel (Amsterdam), AWARE (Paris) et Frame Finland (Helsinki). Ses écrits ont été publiés dans des revues telles que e-flux journal, NERO, Flash Art, Mousse et Critique d’Art. Elle est actuellement doctorante à la HFBK de Hambourg et enseigne dans le département des études curatoriales à l’Académie royale des beaux-arts (KASK) de Gand. Un livre qu’elle a dirigé sur la pratique poétique de Tiziana La Melia est à paraître chez Archive Books, et elle travaille actuellement en tant que commissaire de la première monographie sur Le Nemesiache pour Mousse Publishing.

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Tiziana La Melia vit sur des terres qui n’ont jamais été cédées, celles des peuples autochtones xwməθkwəy̓ əm, Sḵwx̱wú7mesh et səl̓ílwətaʔɬ (Vancouver, CA). Dans sa pratique, artistique et écrite, l’artiste glane les débris du quotidien pour les transmuter en textures matérielles, en formes et symboles itératifs, en les déplaçant à travers les couches du temps diasporique. Parmi ses expositions actuelles et récentes : Country Mouse City Mouse Hamster, Or Gallery, Vancouver (2025) ; Town & Country : Narratives of Property and Capital, The Belkin (2025) ; we know nothing about people who don’t cry, Romance, Pittsburgh (2025). Tiziana La Melia est également l’autrice de publications telles que lettuce lettuce please go bad (Talon Books, 2024) ; l’album de poésie Kletic Kink (Tenderly, 2022) ou encore The Eyelash and the Monochrome (Talon Books, 2018). En 2014, elle a remporté le prix RBC dédiée à la peinture.

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Tania Gheerbrant vit et travaille entre Paris et Zurich, elle est diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2017. Son travail, basé sur des recherches à long terme, interroge la normativité des comportements, en particulier dans le champ de la santé mentale. Agissant en miroir de notre société disciplinaire, ses œuvres construisent une contre histoire de la folie, militante et collective, qui permet d’analyser les mécanismes d’aliénations qui nous touchent tou•tes.

Elle participe régulièrement à des collectives expositions en institutions, elle a notamment présenté son travail : au Palais de Tokyo (2024-FR), au Frac Bretagne (2024-FR), à la Bally Foundation (2023-CH), au 66e Salon de Montrouge (2022-FR), au Point Commun (2021-FR), à la Fondation Fiminco (2021-FR), au Palais des Beaux-Arts de Paris (2021-FR), à la Panacée MoCo, Montpellier (2019-FR).

Elle est lauréate de plusieurs programmes de résidences, bourses et prix, notamment la bourse Mécène du Sud et le Prix Art Norac en 2024. Ses dernières œuvres ont été commanditées par la Bally Foundation (CH), soutenues par le Palais de Tokyo ou la Drac IDF. Elle est actuellement résidente de la seconde promotion à Artagon Pantin.

Son travail est régulièrement présenté lors d’expositions personnelles, comme en ce moment au Salzburger Kunstverein en Autriche, à Kulturfolger-Zurich en 2024, à l’Hybrid Box de Hellerau en 2023, aux Ateliers Vivegnis International de Liège en 2022, à la Cité internationale des Arts en 2021.

Ses vidéos ont été projetées dans différentes institutions et espaces artistiques, entre autres : AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions à Paris (2023-FR), le HKV Berlin dans le programme Culture d’avenir du Centre Pompidou (2022-DE), au CCCOD de Tour (2021-FR).

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“Ma pratique est habitée par des affinités électives qui constituent la communauté fictive dans laquelle je travaille. Disons que je suis une interspéciste linguistique avec une légère tendance perverse. Je m’adresse à quelqu’un avec quelque chose afin de parler secrètement à quelqu’un d’autre.”

Anne Bourse

Anne Bourse est née en 1982 à Lyon. Elle vit et travaille à Saint-Denis.

De son travail, restent en tête des lignes et lettres tourbillonantes, qu’on dirait sorties de cartoons burlesques ou de fresques psychédéliques, qui envahissent la surface de livres, vêtements et papiers en tous genres. Bien que sa pratique se décline en différents médiums, parmi lesquels la peinture, le dessin, ainsi que les productions textiles ou textuelles, elle est avant tout rythmée par le mouvement continu d’une écriture de soi.

Parmi ses expositions personnelles récentes, figurent: Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) (FR), Kunsthalle Bremerhaven (DE), Galerie Édouard Manet, Gennevilliers (FR), Crèvecoeur, Paris (FR). Il a été montré dans de nombreuses expositions collectives, notament au 24e Prix Fondation Pernod Ricard, Paris (FR), au Palais de Tokyo, Paris (FR), Villa Empain, Bruxelles (BE), Frac Corsica, Corte (FR), Scheusal, Berlin (DE), Crédac, Ivry-sur-Seine (FR), CAC Brétigny, Brétigny-sur-Orge (FR), Frac Île de France, Paris (FR).

Anne Bourse est représentée par la galerie Crèvecœur à Paris.

Elle présente actuellement l’exposition “Dissociation” à la galerie Crèvecœur (9 rue des cascades, Paris 20), jusqu’au 19 juillet 2025.