Topor, Morellet et Spoerri sont liés par l’amitié, l’esprit, l’humour et des problématiques communes. La volonté artistique de chacun d’eux s’est pour une grande part appliquée à mettre en oeuvre les jeux du hasard. L’une des dynamiques est de parvenir à saisir dans le flux des idées et des visions qui passent celles à fixer (à piéger).
Fixer l’idée en lui donnant forme ou fixer la forme et son potentiel infini de sens. Spoerri, Morellet et Topor s’opposent au sens unique et à la fonction unique des objets, des formes, des corps et des significations. Le sens multiple, l’objet multiple : « la multiplication est une justice rendue aux possibilités infinies de transformation » (Daniel Spoerri). La confusion des sens est un stimulant. La confusion géométrique recèle un énorme potentiel créatif de psycho-activité formelle. L’ordre peut alors se révéler être un agent secondaire.
La géométrie est une fantaisie de l’esprit qui se reconnaît dans la création de tout être : minéraux, plantes, animaux. Les hasards de la géométrie, ses « bruits » et ses accidents sont générateurs de nouvelles formes qui se mêlent aux générations de formes plus stables et répétitives. Certains artistes veulent imposer un ordre a priori en cherchant à occulter le chaos du monde. Ils ne veulent pas voir mais ils nous font croire qu’ils ont vu quelque chose. D’autres gens qui ne veulent pas voir les suivent et les encouragent. Ce sont des lâches qui se donnent bonne conscience. D’autres artistes reconnaissent le chaos et savent que l’ordre n’est qu’une
proposition éphémère et dérisoire. Ils n’ont pas peur du hasard qui peut être un danger, mais le danger de l’ordre qui se donne comme immuable est plus grand encore. L’ordre est toujours relatif, subjectif, mouvant. Il dépend du hasard. Morellet, Spoerri et Topor ne sont pas sérieux. Ce manque de sérieux leur permet de garder une distance raisonnable face au tragique décervelage auquel nous invitent si généreusement les mots d’ordre que nous nous imposons, ou que nous nous laissons imposer.
Le sentiment qui réunit ces trois artistes dans cette exposition résulte d’une part d’un battement de coeur de Spoerri émit en 1977 au sein du Crocrodrome de Zig et Puce, une oeuvre monstre de Jean Tinguely montée au Centre Pompidou. Dans le ventre de la bête créée par son ami Tinguely, Spoerri avait installé un « musée sentimental » et « une boutique aberrante ». Topor et Morellet y étaient présentés parmi d’autres artistes, tous amis de Spoerri.
D’autre part, il y a une affinité d’esprit entre Morellet, Topor et Spoerri, tous trois héritiers de Dada et avant lui d’Alfred Jarry et des Artistes Incohérents. Enfin, il y a des contrastes saisissants entre les registres formels de ces trois artistes. Les ruptures que cela entraîne dans la perception permettent de réinterroger chacune de ces oeuvres avec l’éclairage de l’autre. De nouvelles significations surgissent.
L’exposition Topor-Spoerri-Morellet présentée à la galerie Anne Barrault est un sample transformé de celle qui s’est jouée à l’Ausstellungshaus Spoerri de mars à juin 2016.
Nous remercions très chaleureusement Daniel Spoerri, Barbara Räderscheidt, Danielle et Frédéric Morellet, Nicolas Topor, Klaus Kiefer et la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois.
Alexandre Devaux, 2016
Ce livre édité en France en 1962 puis en Angleterre en 1966 puis en Allemagne en 1968, est à la fois un manifeste du Nouveau Réalisme, une expérience littéraire à la Perec, une autobiographie d’une génération artistique et un texte plein d’humour offrant un name dropping de tout le milieu de l’avant-garde des années soixante.«Topor, voyageur du livre», second tome consacré aux dessins d’illustration de Roland Topor, sortira aux Cahiers Dessinés le 20 octobre.
Textes et iconographies d’Alexandre Devaux, préface de Jean-Baptiste Harang