Après Balkis Island en 2009, l’architecte Yona Friedman et l’artiste Jean-Baptiste Decavèle poursuivent leur collaboration dans cette deuxième exposition à la galerie Anne Barrault. Le premier volet de …&, iconostases 25 i.s. réunit vidéos, photographies, et assemblages éphémères de Jean-Baptiste Decavèle autour de la maquette Le pont de la liberté, réalisée par Yona Friedman en 2009 pour son projet de ‘ville spatiale’ sur le pont qui relie la ville de Mestre à la ville de Venise.
La vidéo de Decavèle Il ponte della libertà montre Yona Friedman dans son appartement parisien en train de construire et déconstruire cette maquette. Le spectateur peut ainsi voir la rapidité et la facilité avec laquelle cette architecture peut se faire et se défaire —tous les éléments de la maquette tiennent dans quelques boîtes en carton. Ce film donne également un aperçu sur toutes les choses et les images constitutives de l’univers créatif de l’architecte : d’autres maquettes, des plans, des muraux, et des découpages en papier accompagnés de ses maximes, les ‘Simple Truths’ ou ‘vérités simples’, affichées sur ses murs.
Le titre de l’exposition …&, iconostases 25 i.s. allie le mouvement des images à l’iconostase, une structure mobile, adaptable, et évolutive pour la présentation des oeuvres d’art sur laquelle Friedman travaille depuis au moins 50 ans. L’iconostase conçue par Friedman est construite de polyèdres circulaires et assemblables dans ce que Friedman nomme une ‘space chain’, où les oeuvres viennent se nicher. Dans la vidéo de Decavèle intitulée Iconostase 25 i.s. (2010), tournée depuis une nacelle de 15 mètres de haut, Decavèle filme Friedman en train de se déplacer dans la structure qu’il a conçu pour la première fois à cette échelle, à Art Basel 41 en 2010. La vidéo trace cette installation à la fois inédite et éphémère du début à la fin, sans montage. Vus d’en haut, les anneaux en métal de la ‘space chain’ rappellent la trace et le tracé des dessins de Friedman, et l’iconostase étendue prend l’allure
d’une carte topographique. L’architecte semble déambuler dans une matérialisation de sa pensée. Pour Decavèle, la vidéo documentaire ne se substitut en aucun cas à la réalisation d’un projet architectural de Yona Friedman, mais elle peut néanmoins signifier une certaine réalisation de ses idées.
Ici, les murs de la galerie ont été couverts d’une fine couche de carton alvéolé, un des matériaux préférés de Yona Friedman, afin de brouiller l’échelle habituelle de cet espace et de réfléchir à une alternative plus malléable et modulable à la white cube/boîte noire comme dispositif de monstration pour les images, comme les Vues stéréoscopiques de Balkis Island (2009) de Friedman et Decavèle.
Pour cette oeuvre, liée au premier voyage de Decavèle à l’ile fictive Balkis Island, Yona Friedman a dessiné une proposition de l’habitat aussi fictif mais réalisable sur des photographies stéréographiques réunies par Decavèle. L’utilisation de l’image stéréographique évoque le premier voyage de Decavèle vers le Grand Nord sur les traces de l’expédition polaire Franklin en 1845 où tous les membres de l’expédition ont disparus. Aucun document photographique a survécu à cette expédition, sauf les daguerréotypes prises par les membres avant leur départ d’Angleterre.
Enfin, les photomontages que Decavèle a réalisé à partir de la vidéo Iconostase incluent des dizaines d’images superposées prises à un seul moment pendant la construction de l’iconostase par Friedman. Il s’agit d’une fraction d’un plan qui peut varier de 15 secondes à trois minutes. Le montage intervient uniquement dans la photographie, pas dans la vidéo, pour introduire un rythme et pour souligner le va-et-vient entre la continuité et la discontinuité, la construction et la déconstruction, un mouvement omniprésent dans le travail de l’architecte et de l’artiste.
Vivian Sky Rehberg