Manuela Marques

Zone(s) de contact

30 octobre - 11 décembre 2010


Manuela Marques - Zone(s) de contact

 

Dans l’au-delà d’un miroir, un reflet ouvre sur un hypothétique ailleurs. Sur le coin d’une table, trois fleurs de lotus flétries emmêlent leurs tiges dans un vase au goulot tranchant. Au travers de cages d’oiseaux, une autre grille, architecturale cette fois, transparaît. Des sacs pendent, attachés à un arbre. Une brèche surgit de parois rocheuses. Un homme sied, les yeux clos, au bord d’un lit défait. Les photographies que donnent à voir la nouvelle exposition personnelle de Manuela Marques à la galerie Anne Barrault interrogent ces « zone(s) de contact », ces espaces si particuliers de l’entre-deux, au seuil du perceptible. Tout est là, en attente, en pause : liminal. Extrait de l’environnement pour l’exacerber, suspendu du temps pour mieux l’étirer, détaché d’un événement dont on ignore s’il est à venir ou déjà antérieur. Tout est au bord de l’équilibre, de la retenue, du suspens et ce n’est sans doute pas un hasard si Manuela Marques a pour habitude de comparer cette mise en tension à une épée de Damoclès. Car il y a bien un souffle d’imminence qui sourd dans ces images, affleurant à leurs surfaces, et qui serait peut-être à rechercher dans l’épaisseur de leur atmosphère. Semblable à celles des antres, des gouffres et autres passages enfouis, celle-ci joue du détail, de la transparence, de l’humidité comme du clair-obscur, du minéral et de l’organique. Il y a par ailleurs – et c’est sans doute ce qui fait de Manuela Marques une photographe si singulière dans le paysage actuel -, des affinités avec quelques esthétiques cinématographiques. De celles qui partagent une certaine idée du plan-fixe, celui qui dure plus longtemps que l’attention ordinaire et insiste généreusement à capter/capturer ce qui échappe à notre simple regard. Elle instaure ainsi une mise en abyme du réel, le composant et le recomposant jusqu’à l’émergence de cette porosité alchimique entre l’exogène et l’endogène. De là, de ces images qui se veulent fixes, on est amené à y circuler, à s’y engouffrer. « Les images sont des gouffres », nous dit Manuela Marques. Mais d’un gouffre, on ne ressort pas, on s’y perd. Or c’est bien à ces impossibles issues que l’on est confronté. Tout, absolument tout, ne mène qu’à des impasses se jouant de l’intérieur comme de l’extérieur. Cages, vase, sacs, grotte, cet homme qui ne veut pas encore s’éveiller… Toutes ces formes d’enfermements, de contenants ou de repli construisent d’inévitables bifurcations dans cette série d’images dont le point de départ est la photographie du miroir. Là encore, nul hasard à la chose. Le miroir, on le sait, fût ce qui permit à la théorie foucaldienne d’introduire son concept d’hétérotopie devenu aujourd’hui un puits sans fond pour toute personne intéressée à la question de l’espace. On se permettra d’en faire encore usage, sous la modeste forme de la citation : « le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu’il rend cette place que j’occupe au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l’espace qui l’entoure, et absolument irréelle, puisqu’elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas. » (1) De cette qualité mixte caractéristique du miroir, Manuela Marques en fait le point d’ancrage de sa série photographique, sa zone de contact entre l’espace qui nous entoure et là-bas.

Rozenn Canevet, 4 septembre 2010

  1. Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.