Même si les A ont joué pour elle un rôle crucial, la curatrice Isabelle Le Normand a peu à peu remarqué l’importance dans sa vie des personnes dont le nom commençait par B. Dans son bataillon d’artistes, il y a toujours eu : Baghriche, Bastard, Berthier, Blais, Blanc, Blazy, Boulard, etc. La vie est étrange, pleine de superstitions personnelles, de sentiments tus qui peuvent paraître hors de propos,irrationnels, sans but, curieux, inconséquents. Elle finit pourtant par s’interroger sur la raison des B – pourquoi pas des L, par exemple ? Le L est une lettre tout à fait honnête et respectable. Un soir, Isabelle organisa des rencontres réservées aux L mais sans succès. Elle cessa alors de vouloir forcer les choses et appris à faire conFiance à ses instincts : il y avait bien quelque chose avec les B ; cela faisait partie de son destin. L’exposition d’Isabelle rend hommage à cette histoire qui la lie aux B et aux artistes qui prennent pour matériau le destin. Du côté B de la vie, il y a la liberté, la prise de risque ; le le film de série B n’est jamais prétentieux, et c’est ce qu’Isabelle aime en art. Quelque chose d’accessible, mais au-delà de ça, une découverte aussi qui nous fait croire en ce qui est beau.
L’art rendait sa vie meilleure, c’est vrai, elle le croyait encore. Berthier remarqua la récurrence des B et plaisanta sur l’importance de ce critère. Il participe aujourd’hui à l’exposition avec une série de dessins sur les miracles quotidiens. Il représente la première génération de B à en accueillir une seconde. Les artistes attentifs à la sérendipité sont prêts pour des rencontres inattendues ; ils créent des oeuvres qui transcendent l’anecdotique avec grâce tout en s’agrippant fermement à la puissance de la vie réelle.
Isabelle a passé l’année dernière à Paris à la Cité des arts, une résidence internationale où les artistes de l’exposition ont tous vécu (hormis Berthier, récompensé pour avoir résolu l’énigme). Ayant trouvé une vieille liste d’anciens résidents de la Cité, elle envoya un courriel à un écrivain islandais enthousiaste, amoureux de l’art, et qui ne s’attendait pas à être inclus dans le projet.
« Cher Baldursdóttir, votre nom commence par B., croyez-vous au destin ? » Elle invita Beckers, parce que ses vidéos se confrontent aux événements incontrôlables de la vie qui nous a affectent, nous et ceux que nous aimons. D’autres artistes aussi qu’elle a rencontrés ou qu’elle connaissait déjà : Boutros qui décrypte les messages d’amour dissimulés dans les reçus de supermarché ; Bézu qui transforme des fascicules Star Wars en précieux objets cristallisés ; Broisat qui part au Japon à la recherche d’une simple balle de base-ball aperçue un jour dans le coin d’une photo de presse.
Bernad, lui, prend des photos tout en l’embrassant devant des oeuvres (elle l’a rencontré dans un bus lors de son premier voyage à Los Angeles, et il a retourné la ville pendant deux jours avant de la retrouver dans un musée). Chacun sonde le monde en quête de quelque chose dont il a besoin sans savoir pourquoi. De même, Isabelle crée des expositions de manière intuitive, passionnée, un peu folle.
Chacun ayant dans la vie une face B, un film de série B, une philosophie B, il est important de rester ouvert. Aussi Pauline Curnier Jardin, B honoraire, participe-t-elle à l’exposition avec son bébé, Balthazar.
Car tout le monde qui croit peut être un B.
Jonathan Bernad
Isabelle Le Normand (née en 1980, vit et travaille à Paris) est responsable des arts visuels à l’espace multidisciplinaire Mains d’OEuvres (Saint-Ouen), où elle a organisé plus de trente expositions.
Elle a travaillé comme commissaire indépendante à Paris, Los Angeles, Bourges, Budapest et Marseille.
En 2013, elle a créé un programme d’échanges pour les artistes entre Paris et Los Angeles, un partenariat entre Machine Project et Mains d’OEuvres.
Isabelle Le Normand a récemment fondé Courtesy, une galerie commerciale et agence curatoriale à Los Angeles.