Des étendues célestes, imposantes, piquées de mille points scintillants ; balises spécifiques d’un territoire encore vierge, d’une immensité à fouler. La perception d’un grand vide que l’on fantasme à combler, à organiser, à imaginer vivre. Des tours sans fenêtres, dont seule l’éjection sur le toit d’une improbable fumée révèle une hypothétique présence. Une occupation des sols, verticale, vers le haut, totalement irrationnelle, outrancièrement humaine.
Pour sa nouvelle exposition, David Renaud, dont le travail questionne la perception de la géographie et de ses représentations multiples (peintures, cartes, reliefs), s’interroge aujourd’hui sur le potentiel des panoramas fictifs. C’est en focalisant sur la science fiction, culture éminemment figurative, qu’il tente de cartographier l’inconnu.
Il y a d’abord le dessin, la représentation à plat des paysages. Négative Day On Mercury, diurne aride et constellé. One Night On Earth, évocation du froid spatial. Les perspectives astrales s’étirent d’un panneau à l’autre provoquant un effet hypnotique : au sol, les strates s’empilent en palier. Elles se superposent, soulignent un mouvement, une fuite. Quelque chose est à gravir ou à traverser. Le regard s’achemine sans se fixer. Les yeux s’élèvent sur une pluie astrale, canalisés par la luminosité stratifiée d’auréoles d’étoiles. L’esprit se perd au-delà de l’image, dans l’introspectif, pour figurer lui-même comme une réalité optique, un tracé, un pli. Un territoire mental. C’est peut être cet endroit présenté comme un dédale Borgésien, qu’on nous donne à explorer.
Et puis, il y a le volume, la représentation en trois dimensions. C’est en organisant un dispositif « architectone » à la Malevitch que David Renaud poursuit son questionnement. Au centre de l’agencement, s’élèvent deux édifices monolithiques. Deux longs traits qui incitent à l’élévation, à la transcendance. Des tours apparemment impénétrables puisque sans ouverture. Et pourtant, les socles des constructions arborent des sillons, des rayures qui ressortent en creux. Une progression en strie, en angles droits qui révèle une possibilité de s’introduire, d’accéder à l’intérieur, au fondamental. Comme pour les deux panneaux, Négative Day On Mercury et One Night On Earth,c’est encore la ligne qui nous conduit en dedans. La ligne comme vecteur, la géométrie comme seule illustration de la raison. C’est paradoxalement l’aspect déshumanisé des tours, dont on ne sait si on y vit et dans quelle mesure on y existe, qui précise la singularité de l’humain et de son esprit devenu autonome, dégagé du corps qui le maintient. L’homme imagine, trace, dessine son environnement idéal. Il n’a plus à se représenter lui-même puisqu’il est devenu cet environnement, hors de son enveloppe physique, au-delà de ses limites corporelles.
Influencé par une science fiction post conquête spatiale, qui tend à accorder immensité cosmique et conscience humaine, David Renaud s’interroge sur la valeur de cette utopie. En essayant de cartographier un périmètre infini, au delà de la ligne et après le tracé, c’est la notion même de frontière qu’il questionne.
Frank Richard