vues de installation de Sarah Tritz
(photographies Aurélien Mole)
La galerie Anne Barrault invite un commissaire qui à son tour en invite 11. Cette exposition collective agira comme un jeu entre ces 12 curateurs qui souhaitent garder l’anonymat.
Plutôt que de concevoir une exposition de groupe dont le contenu tiendrait dans l’articulation d’un concept unique et la juxtaposition linéaire d’oeuvres, ce projet s’engage dans un processus collectif et dynamique. Le jeu mis en place convoque différents formats d’exposition (exposition de groupe et solo, white cube et installation) et questionne les structures de production (échange, stockage, accrochage, commissariat, etc) . Ce projet met à contribution le spectateur, la galerie, les artistes et les commissaires invités.
12 commissaires internationaux ont été conviés à participer à l’exposition. Ces commissaires ont des profils différents : certains sont indépendants, d’autres travaillent pour des collections privées ou publiques renommées, dans desfondations et des musées prestigieux. Tous se sont engagés dans une conversation collective autour de l’exposition : ils ont entrepris un jeu de “dominos”. Le premier commissaire et instigateur de l’exposition a sélectionné une œuvre qu’il a envoyée à un deuxième curateur, qui, à son tour, a répondu par une autre œuvre. Le troisième curateur a réagi aux deux propositions précédentes, en en ajoutant une de son choix, et ainsi de suite jusqu’à ce que 12 oeuvres aient été retenues par les 12 curateurs. Chacun d’eux a ainsi répondu, complété et orienté l’exposition de groupe. Celle-là ressemble alors à une phrase pour laquelle chaque participant a ajouté un mot. Tous ont accepté de garder l’anonymat et aucun d’entre eux (à l’exception de l’instigateur) ne connaît les autres commissaires sollicités.
Sarah Tritz a été invitée à concevoir un environnement, une proposition globale qui accueille l’exposition de groupe ainsi constituée. Elle produit le stockage. Toutes les 48 heures, une des oeuvres est extraite du groupe et placée dans un espace différent, laissé vierge, un “White Cube”. Toutes les œuvres ne sont montrées qu’une fois dans le White Cube, séparément. Le processus court jusqu’à ce que chacune ait été exposée seule, une fois,. Quand elles ont toutes ainsi été distinguées, la manifestation se termine. Le passage dans le “white cube” suit le processus de sélection des commissaires : la dernière pièce présentée est aussi la dernière à avoir été sélectionnée.
Quand une oeuvre est exposée isolément, son contenu reste étranger à l’ensemble de l’exposition. Quand elle est avec les autres, son contenu se fond dans le groupe. Le système est à la fois élégant et difficile. Il ne cède pas à la lecture immédiate d’un “thème”. Il se focalise au contraire sur la structure sous-jacente de chaque œuvre individuelle et du projet collectif. Il répond à la commande passée à Sarah Tritz de créer une installation pour l’exposition de groupe.
Un des curateurs participants déclare : “ J’aime l’idée de tension et d’échange entre l’oeuvre isolée au premier plan et l’image de l’arrière-plan, débordante d’oeuvres apparemment stockées. De même, l’alternance et le dialogue des oeuvres isolées et exclusivement mises en scène comme un courant d’idées dans une phrase très longue est vraiment intéressante pour suivre et analyser les décisions qui ont déterminé les choix. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de participer !”
Nous souhaitons vivement remercier (une fois de plus) les commissaires qui ont choisi de rester anonymes : XX, XX, XX, XX, XX, XX, XX, XX, XX, XX, XX and XX.
Sarah Tritz a réalisé son installation « _] 1, 3, 5, 7, 9, 11 » grâce à l’aide au projet de la ville de Paris, et au soutien de l’entrepriseculturelle (www.entrepriseculturelle.org)
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1– Bethan Huws
Untitled (Quoi de Neuf?), 2008
Word vitrine
Courtesy of the artist and Yvon Lambert Paris/New York
« L’œuvre appartient à une série de Word Vitrines que Bethan Huws a débutée en 1999. Elle se joue de l’héritage conceptuel et des structures bureaucratiques de transmission d’information. « Quoi de Neuf ? », qui inaugure le processus de l’exposition et en fixe les règles, est une œuvre à la fois transparente et mutique. Elle est – simultanément – une question, une réponse, un début et une fin. »
2 – Vlatka Horvat
Out on a Limb, 2003
Video (moniteur et socle)
Courtesy of the artist
« Une séquence courte, en boucle, une seule jambe, coupée en haut du cadre. La jambe est en équilibre instable sur un tronc, elle chancelle dans un effort permanent pour rester en position. C’est un corps pris dans un entre-deux, un corps « au bord », qui refuse la stabilité ou le repos. C’est une œuvre angoissante qui répond avec humour à la question « Quoi de neuf ? »
3 .A – Jochen Dehn
Flocks, 2008
Performance le samedi 27 juin à 18h
Courtesy of the artist
« Ce qui selon moi réagit le mieux aux deux œuvres précédentes (et au concept de l’exposition) est en fait constitué de deux œuvres (par deux artistes différents). La première est éphémère et ne restera pas dans la galerie, la seconde sera installée près du lieu de la performance et sera la seule trace tangible de la première œuvre. Flocks par Jochen Dehn est une conférence-performance qui démontre pourquoi il est nécessaire de devenir liquide, comment se dissoudre dans une foule, et quel protocole adopter quand on se trouve dans une foule pour devenir invisible. »
3.B – Alex Cecchetti
The Diver, 2007
Collage, 19,5 x 14,8 cm
Courtesy of the artist
« La performance de Jochen Dehn a été ma réponse immédiate : quelque chose de liquide qui disparaît. Mais j’ai désiré aussi laisser quelque chose de tangible dans l’espace. Le concept de l’exposition le demandait. Je désire inclure aussi The Diver d’Alex Ceccheti. Ce collage fait partie d’une série de collages et d’objets qui doivent être installés en face d’une vidéo ou d’une autre œuvre d’art comme des spectateurs permanents. La performance de Jochen Dehn restera dans le regard de ce spectateur spécial. »
4 – Jiri Kovanda
Pure & Clean, 2007
Performance (documentation)
Courtesy of the artist and GB Agency, Paris
« C’est une performance invisible, pour laquelle l’artiste distribue pendant le vernissage de l’exposition des sucreries, sans que les spectateurs ne soient au courant, en les glissant dans les sacs et les poches. J’aime cette œuvre : elle est simple et radicalement invisible. Clandestine. Elle n’a pas d’audience, c’est une œuvre qui doit être racontée. J’aime aussi beaucoup l’histoire de son titre : l’artiste l’a choisi parce qu’on lui demandait un titre pour un programme pendant une biennale mais il ne savait pas ce qu’il allait faire. Il a dit, simplement : je ne sais pas ce que je vais réaliser, mais je sais que ça s’appellera Pure & Clean. »
5-A PEGGY FRANCK, »07«, 2007
C-Print
44 x 55 cm
Courtesy Marion Scharmann, Cologne and KLERKX, Milan
5-B PEGGY FRANCK, »08«, 2007
C-Print
44 x 55 cm
Courtesy Marion Scharmann, Cologne and KLERKX, Milan
« Deux photographies de Peggy Franck : chacune est une photographie d’une mise en scène (et non d’une performance) mais aussi d’un scène dans laquelle le spectateur doit être immergé (ou proche) pour réellement appréhender la photographie. »
6— Yamini Nayar
Under the Night Sky, 2009
C-print
90 x 120 cm
Courtesy of the artist and Thomas Erben Gallery, New York
« Ce diorama miniature évoque un moment indéterminé : quelque chose va arriver (une scène pour une performance) ou vient juste d’arriver (after effect). Mon choix dans la série s’est développé de manière beaucoup plus intuitive que les cinq décisions curatoriales précédentes. »
7 – FIESTA, Volume 10, Number 6, 1976
30 x 22 cm
Courtesy of the artist
« La tension dans ce magazine porno est évidente. C’est un porno. Un magazine de jazz. Un torchon dégueulasse. C’est aussi le lieu d’une intervention par Cosey Fanni Tutti (on y trouve une de ses actions dans les dernières pages du magazine, pour être exact). Mais en même temps, je ne sais pas si c’en est vraiment une. Cosey apparaît dans le magazine, mais elle n’a jamais validé ou inclus ce magazine dans ces œuvres. Je ne l’ai pas acquis de l’artiste ou de sa galerie, il n’est pas signé ni encadré selon les spécifications de l’artiste. Je l’ai acheté dans une boutique spécialisée en porno vintage. Le marchand me l’a vendu moins cher qu’un Art Forum. Il n’avait aucune idée qu’il s’agissait d’une œuvre d’art – comme tous ceux qui l’ont acheté à l’époque et ont regardé la photo de Cosey nue. Je choisis ce magazine (ou cette œuvre de Cosey Fanni Tutti) car il répond assez élégamment à certaines des oppositions dialectiques (in/visibilité, in/certain, disparition/apparition, etc) qui sous-tendent cette exposition en général et les œuvres choisies par les autres commissaires. Cosey, comme son œuvre, comme les autres commissaires, est et n’est pas là. »
8 – Haris Epaminonda
Untitled #32, 2008/09
Polaroid
10.3 x 10.2 cm
Courtesy of the artist and Rodeo gallery, Istanbul
« Tiré d’un magazine, le fragment dans ce polaroid suggère une scène assez dense, ambiguë (émotionnelle, histrionique). L’histoire est moins révélée que cachée, qui crée sa part d’ombre. Ainsi, le contenu apparent de la photographie reste suspendu, irrésolu, alors que le contenu réel (l’effacement temporel du présent et du passé) reste difficile à situer, et voile l’œuvre d’une sorte d’invisibilité symbolique. »
9 – XXXXXXXX
« J’ai désiré choisir une œuvre assez petite, une œuvre qui attire l’attention des passants éventuels sur une idée précise qui en même temps évoque une image et la possibilité d’une ville dans sa globalité. »
NB : Ni l’artiste ni son agent n’ont désiré participer à l’exposition.
10 – Charlotte Moth
Travelogue, 1999-2009
20 black and white images
Courtesy of the artist
« Les posters de Charlotte Moth se réfèrent à sa collection d’images, Travelogue. C’est une réaction subtile à la nature de l’espace d’exposition. A travers l’exposition d’images qui représentent des architectures abandonnées ou vétustes, les images fonctionnent comme des mises en abîme qui questionnent notre relation au White Cube. »
11- Nina Beier and Marie Lund
New Novels, New Men, 2009
Books and performances
Courtesy of the artists and Croy Nielsen, Berlin
Le même roman, dans des traductions différentes, est lu dans l’espace d’exposition par des hommes parlant la langue de la traduction.
« Cette œuvre correspond réellement à l’idée d’absence/présence qui est au cœur de l’exposition, tant dans sa structure que dans les différentes réponses des commissaires. L’œuvre, selon moi, a cette capacité de jouer avec le concept ouvert mais aussi très fermé de l’exposition. C’est aussi une œuvre qui joue avec la langue et ses différents modes opératoires. De même que toute déclinaison et interprétation de règles (du jeu curatorial dans l’exposition, de la traduction et des langues dans l’œuvre de Nina et Marie) est à la fois scientifique et subjective. »
12 – Aurélien Mole
Phorésie, 2009
Sculpture and plinth
Courtesy of the artist
« Une œuvre qui contamine, qui est un fétiche, qui protège, anonyme mais signée, manipulée, elle est une croyance objectivée, elle est collective, virtuelle : Phorésie est une maladie, une bactérie qui se propage admirablement bien. La statuette est originale : c’est un fétiche nkissi de l’ethnie Bakongo du Mali. Elle sert au sorcier (nganga) pour protéger les personnes qui viennent le voir et les délivrer d’un mauvais sort, elle protège aussi le sorcier en retour. Pour chaque personne qui vient lui demander protection, le nganga lèche un clou ou une pointe et la fiche dans le fétiche. Cette lame symbolise le contrat passé avec l’esprit protecteur que représente la statuette. Chaque lame symbolise une personne, et un sort. Ici les lames se répandent. L’œuvre est aussi une manipulation, comme cette exposition. »
Sarah Tritz
_] 1, 3, 5, 7, 9, 11
Installation, 2009
L’installation de Sarah Tritz a été créée spécialement pour cette exposition: c’est l’espace du stockage, ou l’espace du group show. Tritz a travaillé sur les points de fuites, les différents niveaux de lectures et les mouvements dans l’espace (des visiteurs) et entre les oeuvres (des autres artistes), intégrées dans son installation. C’est la possibilité de multiplication des plans, des surfaces et des points de vue qui est à la base de l’installation: tant la possible confrontation de différents points de vue que leur divergences ou les conflits entre les oeuvres et son installation. L’oeuvre a plusieurs niveaux de lecture. Elle se réfère au décor (décors de théâtre d’Oskar Schlemmer, ou d’opéra de David Hockney: la position du visiteur et son mouvement dans l’installation est cruciale, le visiteur simultanément acteur et spectateur), à l’architecture, aux installations. L’oeuvre s’inscit aussi dans une lignée de pratiques sculpturales, comme un lien entre Kurt Schwitters, Manfred Pernice ou Rachel Harrisson.